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Les Syriens de Paris appellent l’Assemblée nationale à refuser d’accueillir un colloque pro-Assad

«Il n’y a pas de zone interdite à la pensée», proclamait Robert Badinter, le légendaire Garde des Sceaux de François Mitterrand, l’artisan de l’abolition de la peine de mort en France, le 25 février 2013 au Théâtre Dejazet. Il en existe peut-être une, toutefois – celle où la pensée voudrait servir d’instrument contre la pensée, celle des autres, différente, et que l’on ne saurait admettre car estimant sa propre pensée la seule acceptable. Et sitôt que l’on s’est arrogé le droit de juger quelle pensée est acceptable ou ne l’est pas, de là à juger quelle vie humaine même est acceptable, il n’y a plus qu’un pas.

C’est celui qu’ont franchi les forces armées syriennes, qui n’ont depuis six ans plus rien à prouver en termes de mépris des normes internationales de Droits de l’Homme et des règles universelles en temps de conflit armé, mais qui, ce mardi 4 avril, ont poussé plus loin encore leurs limites. A Khan Cheikhoun, dans le gouvernorat d’Idlib qui est, depuis la chute d’Alep-Est en décembre 2016, la plus grande ville à être dirigée par la révolution syrienne, un raid aérien des forces du régime a répandu des substances chimiques toxiques proches du sarin, gaz considéré comme une arme de destruction massive, interdit à la fabrication et à l’usage depuis 1993. Cent personnes au bas mot y ont laissé leur vie, auxquelles s’ajoutent quatre cents blessés.

Un crime de guerre aussitôt dénoncé comme tel mondialement, le Conseil de Sécurité de l’ONU s’étant saisi de l’affaire le lendemain, mercredi 5 août, avec, une fois de plus, en grande protectrice du régime syrien, la Russie de Vladimir Poutine.

C’est le moment qu’a choisi, à Paris, un serpent de mer qui hante les rivages de la révolution syrienne en France depuis plusieurs mois pour refaire surface.

L’impossible colloque des soutiens masqués d’Assad

Le 26 novembre 2016, le Mémorial de Caen, site public d’histoire du vingtième siècle et de promotion de la paix, devait accueillir un colloque intitulé «Les enjeux de la Syrie et de sa région» mais a finalement renoncé, mettant ses organisateurs à la porte. Et pour cause. Terminologie d’extrême droite, invités tous issus de cercles soutenant Bachar al-Assad, le «colloque» avait tout d’un meeting pro-Damas qui ne s’avouait pas.

Nouvelle tentative le 28 janvier 2017, cette fois à La Sorbonne sous le titre moins ambitieux «La Syrie en guerre», par une organisation du nom d’Académie Géopolitique de Paris qui compte parmi ses membres actifs le Député LR des Yvelines Jacques Myard, chantre de l’annexion russe de la Crimée et visiteur enthousiaste du dirigeant dynastique syrien en mars 2015. Le Président de l’Université Paris I, Barthélémy Jobert, alerté notamment par les organisations Mémorial 98 et Souria Houria, a lui aussi fini par fermer la porte à un événement voué à s’avérer bien plus politique qu’académique.

Politique – c’est ce que sera, cette fois ouvertement, un colloque annoncé pour le mardi 11 avril à l’Assemblée nationale sous un titre aux accents plutôt humanitaires, «Syrie : Un drame qui ne peut plus durer». Organisé par l’association SOS Chrétiens d’Orient, notoirement proche du régime Assad, le colloque aura pour hôtes deux députés LR : Thierry Mariani, du Vaucluse, et Nicolas Dhuicq, de l’Aube, connus pour leurs sympathies envers le régime de Vladimir Poutine et qui se sont rendus chacun au moins une fois en Syrie pour y rencontrer Bachar al-Assad.

Y sont annoncés des orateurs dont les positions publiques ne trompent pas. Parmi eux, Gérard Bapt, député PS de Haute-Garonne, qui s’est lui aussi rendu en Syrie en février 2015 ; Fabrice Balanche et Frédéric Pichon, universitaires également pro-Assad ; et Alexandre Del Valle, essayiste, auteur de deux ouvrages avec l’ancienne opposante syrienne Randa Kassis désormais ralliée au Kremlin.

L’Assemblée nationale française, symbole de la conquête de haute lutte de la liberté par le peuple français au fil des siècles, peut-elle vraiment accueillir un tel colloque alors même que Bachar al-Assad, instruit par l’exemple d’impunité que lui a offert en août 2013 le Président américain d’alors, Barack Obama, après l’attaque à l’arme chimique sur la Ghouta de Damas, provoque la juste colère du monde en massacrant à nouveau son peuple à coups d’armes chimiques illégales ?

«Un tel colloque à l’Assemblée nationale réhabilite le régime Assad»

Pas pour la Franco-Syrienne Samira Moubayed, chercheure en écologie rattachée au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris et représentante en France de l’association Syriens Chrétiens pour la Paix (Syrian Christians for Peace). Sur Avaaz, elle est l’initiatrice d’une pétition appelant l’Assemblée nationale à refuser à son tour la tenue d’un tel «colloque».

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Invoquant le massacre de Khan Cheikhoun, Samira Moubayed écrit : «Un tel colloque à l’Assemblée nationale, rend légitime politiquement une parole de réhabilitation du régime Assad, coupable de terrorisme d’État. Cette propagande est inacceptable en France, patrie des Droits de l’Homme, d’autant plus qu’une semaine auparavant, une attaque au gaz de chlore était aussi perpétrée par le régime Bachar al‐Assad contre des civils».

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Samira Moubayed

La scientifique demande donc l’annulation du colloque «au nom de nos valeurs de civilisation et au nom des Droits de l’Homme». Parmi les quarante premiers signataires figurent des militants de la révolution syrienne en France, journalistes, chercheurs, scientifiques, médecins, artistes, dirigeants associatifs.

Un symbole dangereux

Parmi les onze candidats admis à concourir à l’élection présidentielle française, au moins six se sont prononcés pour le régime Assad ou tout au moins contre la révolution syrienne : François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Jean Lassalle. Un septième, Emmanuel Macron, affiche une position indécise, récusant toute exigence du départ d’Assad mais aussi, dans le même temps, toute alliance avec lui.

Il n’est donc pas acquis, pas autant que cela l’aurait été voici quelques années, que l’Assemblée retoquera effectivement le colloque. Pour autant, le laisser avoir lieu constituerait un symbole dangereux, à moins de deux semaines du premier tour de la présidentielle.

Le défi est lancé, et à coup sûr, son issue révélera ce que la représentation nationale pense aujourd’hui d’elle-même, de ce qu’elle représente pour la France et le monde, et de l’importance qu’elle accorde ou non à celles et ceux qui, en Syrie, rêvent – encore – de liberté.

Merci à Samira Moubayed pour les images d’illustration de cet article.

MISE A JOUR : Le 10 avril 2017, il fut annoncé que le colloque n’aurait pas lieu à l’Assemblée nationale, mais au Centre culturel et spirituel russe, Quai Branly à Paris.
La pétition lancée par Samira Moubayed avait recueilli 1 165 signatures.

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This entry was posted on 06/04/2017 by in Révolution syrienne, Russie.

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