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A Paris, la révolution égyptienne sort du silence et défie la répression

Une révolution peut-elle prendre fin dans un tribunal ? Sans aller jusque-là, l’élection présidentielle de 2000 aux États-Unis, la plus grande démocratie du monde – du moins à ce jour –, avait bien été décidée par la Cour suprême, en faveur du Républicain George W. Bush battu de peu au suffrage populaire par le Démocrate et Vice-président sortant Al Gore. Et c’est en tout cas ce que prête à croire, en Égypte, l’acquittement ce 2 mars de l’ancien Président Hosni Moubarak par la Cour de cassation égyptienne qui examinait son recours contre sa condamnation à la prison à vie en 2012 pour la mort de manifestants lors du soulèvement populaire de 2011 qui avait mis fin à ses trente ans de pouvoir absolu sur le pays.

Et certes, là où la Tunisie conserve plus ou moins bien les acquis de sa révolution, tandis que la Libye a sombré dans l’anarchie et la Syrie dans le chaos, l’Égypte apparaît comme le seul pays du «printemps arabe» de 2011 à être revenu, ou peu s’en faut, au point de départ. Bien que démocratiquement élu, le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi y règne à son tour en despote. Ci-gît la révolution égyptienne ?

A Paris ce 22 mars, ses militants ont démontré autre chose.

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Héritiers de Tahrir

Sur une Place de la République vidée par une mince pluie froide, ils étaient une petite vingtaine au pied du Monument à la République. Une cause enterrée par l’opinion publique depuis plusieurs années ne renaît pas de ses cendres en drainant des foules. Pour la plupart égyptiens, soutenus par des représentants d’Amnesty International, ils ont brandi sur des pancartes les slogans, en français et en arabe, des héritiers des rassemblements de Tahrir :

«La révolution continue»,
«Liberté pour les courageux»,
«Halte à la répression»,
«Halte aux disparitions forcées»,
«Procès équitable pour tous»,
«Ni frères [Frères Musulmans] ni militaires, une Égypte séculaire».

Un seul drapeau égyptien, apparu tardivement et simplement tenu entre ses mains par un manifestant, comme pour dire qu’il ne s’agit pas des revendications d’un seul peuple mais de droits universels, auxquels ont droit les Égyptien(ne)s comme peuvent y prétendre tous les peuples du monde. Comme une évidence.

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Ahmad Douma, symbole de la nouvelle répression

S’il en est pour qui la reconnaissance des droits est pourtant loin d’être évidente, ce sont les détenus politiques, punis par milliers pour s’être opposés au pouvoir du Maréchal al-Sissi comme d’autres l’étaient jadis pour avoir affronté la dictature sous Moubarak. Même saluée par la diplomatie française, la grâce présidentielle accordée à deux cents d’entre eux ce 14 mars paraît bien insignifiante.

Les manifestants avaient choisi de mettre à l’honneur l’un de ces détenus, sans doute le cas le plus emblématique du moment.

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Ahmad Douma, militant de gauche alors âgé de vingt-sept ans, avait été arrêté avec d’autres en décembre 2013 pour avoir manifesté au Caire contre une nouvelle loi restreignant, précisément, le droit de manifester. Sous le prétexte fallacieux d’avoir causé des actes de vandalisme, il fut condamné le 4 février 2015 à la réclusion à perpétuité. Droit à un avocat nié, aucune copie des enquêtes remise par le procureur à l’équipe de défense, tribunal présidé par le juge Nagy Shehata connu pour son goût prononcé de la peine de mort – un procès inique dans toute sa laideur.

Pour sa troisième année en détention, Ahmad Douma est à l’isolement. Malade, il se voit refuser tout soin médical, sa santé se détériorant donc inexorablement. Ce 27 avril verra sa nouvelle comparution devant les juges, cette fois pour un appel qu’il a lui-même relevé. Seulement, dans quel état sera-t-il d’ici là ?

«Les gouvernements occidentaux n’ont fait que nous décevoir»

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«La question des détenus est la plus importante en matière de Droits de l’Homme aujourd’hui en Égypte», explique Caroline Barbary, sociologue franco-égyptienne et organisatrice du rassemblement. «On acquitte Moubarak, l’ex-dictateur, tandis que des hommes et des femmes libres, qui sont sortis dans la rue pour demande la liberté, on les trouve derrière les barreaux ! Les prisons égyptiennes regorgent d’innocents et de militants pour la liberté.»

Il serait difficile de ne pas se sentir frustré, tant les dirigeants semblent se succéder depuis la révolution sans jamais tenir compte de ses mots d’ordre : Pain, Liberté, Justice sociale. Après le régime militaire transitoire instauré début 2011, l’islamiste Mohamed Morsi avait été élu Président en juin 2012 mais, par la suite, poussé son pouvoir au-delà de ses limites, une pétition de plus de trente millions de noms ayant réclamé son départ qui eut  finalement lieu le 3 juillet 2013, lorsque les forces armées soutenues par le peuple et emmenées par le Maréchal des Forces aériennes Abdel Fattah al-Sissi intervinrent et mirent un terme à son mandat.

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Caroline Barbary

Élu à son tour chef de l’État le 8 juin 2014 dans des conditions contestées, Abdel Fattah al-Sissi a remis l’Égypte sur la voie de la répression – étant allé, en politique étrangère, jusqu’à normaliser les relations avec le régime de Bachar al-Assad en Syrie, dissipant ainsi toute ambiguïté sur l’importance qu’il accorde aux Droits de l’Homme.

Comme résignés au vieil axiome des orientalistes français «La dictature ou l’islamisme» sur fond de lutte contre le terrorisme, les dirigeants internationaux ont avalisé sans mal ce retour à la case despotisme, jusqu’à la France qui se fait volontiers le VRP de son armement auprès du régime militaire cairote en costume-cravate.

17390642_10210882579955520_3441741366912752775_oEn vouloir au peuple égyptien d’avoir perdu confiance en le reste du monde serait, au mieux, de l’inconscience et, au pire, de la mauvaise foi.

«Sincèrement, je ne pense pas que les gouvernements puissent faire quelque chose,» poursuit Caroline Barbary. «Seuls les militants, les peuples et la société civile le peuvent. Les hommes politiques sont constamment en train de nous décevoir, de signer des accords avec l’État égyptien au détriment du peuple égyptien. Nous en appelons donc aux hommes et aux femmes libres, à la société civile, car les hommes d’État et les régimes politiques occidentaux ne nous ont apporté que la déception».

Quelques slogans en arabe à la nuit tombante ont clos le rassemblement, bientôt battu par une pluie plus brute. Mais l’engagement était pris.

La révolution égyptienne est de retour à Paris.

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This entry was posted on 23/03/2017 by in Amnesty International, Démocratie, Egypte, Révolution égyptienne.

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