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Que va faire Donald Trump du Moyen-Orient ?

Le monde est en état de choc. Le 8 novembre, déjouant tous les pronostics, Donald John Trump, candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle américaine, jusqu’alors businessman milliardaire devenu star de télé-réalité, a franchi la barre des deux cent soixante-dix mandats de Grands électeurs au sein du Collège électoral qui élit le Président des États-Unis. Contre toute attente, il a ainsi remporté l’élection et c’est lui qui sera le quarante-cinquième chef de l’État américain.

Les déclarations haineuses et enflammées du candidat Trump tout au long de sa campagne, aléatoirement racistes, xénophobes, homophobes, handiphobes, sexistes et même antisémites – ce qui ne peut que surprendre puisque le propre gendre de Trump est juif – laissent craindre le pire. Les premières nominations de hauts responsables, notamment celles du suprémaciste blanc déclaré Steve Bannon au poste de Stratège en Chef de la Maison Blanche, viennent confirmer ces craintes. Si les minorités vulnérables sont ainsi dès le départ prises pour cibles, comment, en toute logique, le Président élu Trump entend-il réaliser les promesses de rétablissement économique qui ont fait son succès auprès des délaissés dont le vote s’est si massivement porté sur lui ?

Et si déjà l’incertitude règne de cette manière au plan intérieur, que prédire alors de la politique étrangère de l’Administration Trump, surtout au Moyen-Orient qui demeure, de la Syrie au Yémen en passant bien sûr par l’insoluble conflit israélo-palestinien, la poudrière du monde ? A Paris, l’Institut de Recherches et d’Études Méditerranée Moyen-Orient (IREMMO) a voulu savoir. Et comprendre.

C’est pourquoi, dans le cadre de ses rencontres intitulées «Controverses», l’institut a invité, ce mercredi 16 novembre à 18H30, deux intervenants «autorisés», selon le terme consacré, à venir éclairer le public sur cette question : «Élections américaines : nouvelle politique au Moyen-Orient ?». Si les experts en politique américaine ne manquent certes pas dans les universités françaises, il est néanmoins une université à Paris que la question a logiquement plus de raisons de préoccuper que toutes les autres – l’Université américaine de Paris, en anglais American University of Paris, établissement indépendant du système éducatif français mais aussi, la confusion est parfois faite, du Gouvernement américain dont elle n’est pas un organisme.

Il s’agissait de deux des enseignants de cette université : l’Américain Steven Ekovich, Professeur de Politique internationale et comparée, ancien Professeur associé à l’École polytechnique et auditeur de l’Institut des Hautes Études de Défense nationale, et le Franco-Libanais Ziad Majed, Professeur d’Histoire et d’Études du Moyen-Orient, auteur en 2013 de l’ouvrage Syrie : La révolution orpheline. La modération avait été confiée à René Backmann, chroniqueur à Médiapart et ancien rédacteur en chef du service étranger de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur (aujourd’hui L’Obs).

Voilà huit ans, a rappelé René Backmann, toutes et tous étaient enthousiastes après l’élection d’un premier Président noir aux États-Unis, en la personne du Démocrate Barack Obama. Aujourd’hui, c’est la sidération qui règne après la victoire de Donald Trump. Pour ce qui est du Moyen-Orient qui est l’objet de toutes les préoccupations de l’IREMMO, que cela implique-t-il ?

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De g. à d. : Steven Ekovich, René Backmann et Ziad Majed.

Steven Ekovich : L’impossible décryptage des incohérences du candidat Trump

Steven Ekovich, Américain donc, en tant que tel, autorisé et appelé à prendre part à l’élection présidentielle, a été clair : lorsqu’il a accepté de prendre part à cette «Controverse», dans son esprit, il allait expliquer la politique étrangère au Moyen-Orient de la Présidente élue Hillary Clinton, grande favorite des sondages, le triomphe sorti de nulle part de Donald Trump l’ayant obligé à revoir son intervention de fond en comble.

Et, à vrai dire, pour parler de quoi ? Les déclarations du candidat Trump sur le Moyen-Orient n’ont pas, c’est même le moins que l’on puisse dire, toujours été cohérentes, leur but ayant été la plupart du temps de plaire à la foule lors des meetings. Le candidat du Parti républicain croyait-il seulement toujours à ce qu’il était en train de dire ? Plus d’une fois, à la tribune, Donald Trump est sorti du texte préparé pour lui, s’étant mis en lieu et place à improviser. Comment, dans de telles conditions, déceler dans ses propos une véritable cohérence ? Quelles sont ses lignes directrices ?

La question est rendue plus complexe encore par ce qui est une donnée majeure du problème : comme tout Président des États-Unis sur le point d’entrer en fonction, Donald Trump doit se constituer une équipe, en ce compris pour la conduite de sa diplomatie, et reste à voir qui il va choisir. Or, c’est un fait désormais bien connu à son sujet, Donald Trump est un individu profondément narcissique, qui a du mal à écouter l’opinion des autres. Pendant la campagne, lorsqu’on lui demandait qui il consultait en matière de politique étrangère, n’a-t-il pas répondu à la question «Eh bien, je me consulte moi-même» ?

Et pourtant, le milliardaire est loin d’être un expert en la matière. De tels experts, certes, ce n’est pas ce qui manque au sein du Parti républicain. Sauf que, s’agissant du futur Président Trump, ceux-ci refusent de se joindre à lui ! Les professionnels du Grand Old Party dans ce domaine le boudent, rejettent ses demandes. Au risque de le laisser se livrer à des abus irréversibles ?

Impossible. Dans le système politique américain, les contrepouvoirs existent, non pas seulement au Congrès, le Parlement composé de la Chambre des Représentants et du Sénat – au demeurant tous deux contrôlés à ce jour par le Parti républicain –, mais au sein du Gouvernement fédéral dans son intégralité. Ainsi les deux ministères les plus directement concernés par la politique étrangère, le Département d’État (State Department) et le Pentagone, autrement dit le Ministère de la Défense, sont à même de contrer d’éventuels débordements de la Maison Blanche par des procédures de blocage, visant à infléchir et encadrer la conduite du Président si besoin est.

Et cela pourrait en effet s’avérer nécessaire, tant il est peu évident de comprendre les intentions de Donald Trump au Moyen-Orient par la seule teneur de ses déclarations.

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En Syrie, le nouveau Président dit vouloir «écraser Daesh» ; qui n’en rêve pas ? Mais lorsque Donald Trump évoque pour ce faire un «plan secret» par lequel il se dit capable de traiter la question «mieux que les généraux», l’on ne peut que devenir perplexe. Le vainqueur de l’élection présidentielle professe aussi son «attirance» pour le Président russe Vladimir Poutine, auquel il dit offrir une «main tendue» en vue de mettre les deux pays d’accord sur certains dossiers. Pour la Syrie, cela revient à prendre la défense du dictateur Bachar al-Assad, que défend Poutine avec obstination – et, certes, lorsque Donald Trump claironne sa volonté de «tout axer contre les terroristes», de qui parle-t-il ? Rien dans son discours ne permet d’affirmer qu’il s’agisse, comme le commanderait la logique, de Daesh. D’où l’inquiétude de certains alliés des États-Unis dans la région qui ont pris le parti de l’Armée syrienne libre, que Damas a toujours décrite comme «terroriste».

Mais alors, sur l’Iran ? On sait Téhéran très proche de Moscou, non dans une moindre mesure au sujet de la Syrie, et si Washington se rapproche de Moscou, il se rapproche de même de l’Iran. Pas si vite ! Donald Trump n’a-t-il pas constamment affirmé que s’il était élu, et c’est aujourd’hui le cas, il anéantirait l’accord conclu en juillet 2015 entre l’Iran et les «P5+1», autrement dit les cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies (États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie et Chine) ainsi que l’Allemagne au sujet du programme d’armement nucléaire iranien ? Lors de la signature de cet accord, Trump l’avait qualifié de «désastreux» et s’était juré de le faire disparaître.

Juridiquement, le Président Trump pourra le faire, car il ne s’agit pas d’un traité qu’il serait difficile de dénoncer. Le Président sortant Barack Obama, sachant qu’il ne recueillerait jamais au Sénat les deux-tiers des voix nécessaires à la ratification d’un tel traité avec l’Iran comme l’exige la Constitution, avait fait de ce dernier un accord exécutif, revêtu de sa seule signature. C’est grâce à cela que son successeur pourra, s’il le souhaite, évacuer l’accord sans problème.

Politiquement, en revanche, la tâche s’avère ardue. Dénoncer l’accord entier, il ne le pourrait qu’avec difficulté, mais il pourra toujours retirer à Téhéran certains avantages qui lui étaient jusqu’alors consentis. Cela ne règle toutefois pas le problème de la contradiction entre cette intention affichée de Donald Trump et sa position constamment réitérée sur la situation en Syrie et en Irak, et quand bien même le Président élu voudrait le temps venu faire marche arrière sur l’accord avec l’Iran, il pourra en effet mettre des bâtons dans les roues à l’Iran et à l’Europe, mais sans plus.

Avec Israël, il en va tout autrement. Le très conservateur Mike Pence, colistier de Donald Trump et qui sera donc son Vice-président, est un fervent soutien de la politique israélienne, tout comme l’est Trump lui-même. Parmi les noms évoqués au Secrétariat d’Etat, Newt Gingrich, ancien Président (Speaker) de la Chambre des Représentants, est connu pour avoir qualifié la Palestine de «pays inventé de toutes pièces» et accusé les Palestiniens d’élever leurs enfants «dans la haine d’Israël». Que ce soit lui ou un(e) autre, une politique pro-israélienne est donc à prévoir comme avec tous ses prédécesseurs.

Certes, la campagne de Donald Trump n’a pas été exempte de propos antisémites. Cependant, le gendre de Trump, Jared Kushner, est lui-même juif et le candidat républicain a été du reste bien reçu par les institutions juives pendant sa campagne. Côté démocrate, si les déclarations antisémites n’ont pas fait florès chez Hillary Clinton et ses proches, il faut bien se souvenir que le soutien à Israël est tout aussi présent que chez Donald Trump, donc l’un ou l’autre à la présidence n’aurait fait sur ce point aucune différence.

Quant au Premier Ministre israélien, Benyamin Netanyahu, s’il s’est réjoui publiquement du succès de Donald Trump, il joue pour autant un jeu beaucoup plus fin qu’il y paraît. Pendant la campagne, il ne s’était prononcé pour aucun des deux candidats en particulier, ayant maintenu au contraire un profil bas.

Enfin, en Égypte, le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi, chef de l’Etat, est ravi de l’avènement du Républicain, et pour cause. Si Hillary Clinton avait été élue, elle aurait immanquablement associé les Droits de l’Homme, en particulier les droits des femmes, à ses discussions avec la Présidence égyptienne. Lorsque Donald Trump a rencontré, d’ores et déjà, le Maréchal al-Sissi, aucun des deux sujets n’a été abordé, le Président élu estimant que «c’est leur affaire» et se tenant en tout état de cause à son slogan, issu de l’histoire américaine du vingtième siècle : «America first», «L’Amérique passe en premier».

Et Steven Ekovich de conclure, après un exposé aussi complet et argumenté, qu’il en aurait produit un plus «solide» si Hillary Clinton avait été élue … On n’en a que plus de regrets encore de la défaite de la Démocrate – qui a, ce n’est pas un fait négligeable, obtenu deux millions de voix de plus que son rival, fait inédit depuis l’affrontement Ford-Carter en 1976, même si le Collège électoral revient bel et bien à Donald Trump qui, sauf surprise, sera donc porté par les Grands électeurs à la Maison Blanche.

Ziad Majed : Du candidat au président, un autre Trump ?

Pour son collègue le politologue Ziad Majed, qui n’est pas quant à lui partie prenante aux scrutins américains, le plus important est que le Président Donald Trump ne pourra pas, par la force des choses, être le même homme que le candidat Donald Trump qui ramène au pouvoir le Parti républicain après huit années successives de présidence démocrate.

Bien entendu, entrer à la Maison Blanche ne changera pas la personnalité du milliardaire démagogue. Mais l’homme d’État qu’il sera désormais devra s’attendre à ce que les institutions fédérales américaines, dont il aura la charge, lui laissent passer beaucoup moins que l’électorat au challenger républicain qu’il fut au cours des derniers mois.

Dans la démocratie américaine, le Président est tenu dans sa conduite par des règles strictes, et pour peu que Donald Trump tente d’y déroger, les diverses branches de l’administration auront tôt fait de l’en empêcher.

La base électorale qui fit le succès de Barack Obama en 2008 et 2012 était, en politique étrangère, fatiguée du Moyen-Orient où l’Administration Bush n’avait eu de cesse d’intervenir militairement, en Afghanistan à partir de 2001 et en Irak depuis 2003. En élisant le Sénateur démocrate que Barack Obama était alors, cette base électorale réclamait un retrait de cette région du monde.

Cette année, l’électorat de Donald Trump a nettement fait sentir lui aussi une fatigue au sujet du Moyen-Orient, jugé trop loin des États-Unis, trop compliqué à comprendre et surtout indésirable dans un projet politique dont le premier but affirmé est de s’occuper de l’économie américaine. Le seul lien que cet électorat établit encore avec le Moyen-Orient, c’est sa peur de l’Islam. Le problème, en tout cas pour les électeurs de Trump, c’est qu’ils n’attendront pas longtemps avant que la réalité vienne les rattraper.

Sur la Syrie et le nucléaire iranien, entre autres sujets, les conseillers de Donald Trump devront donner la parole à plus de gens que jusqu’à présent, qu’ils le veuillent ou non.

En ce qui concerne Israël, Barack Obama a énormément déçu les Palestiniens. Malgré la condamnation par la Maison Blanche des dernières annonces israéliennes de la poursuite de la colonisation, ce sont encore vingt milliards de dollars qui ont été promis à Israël par les États-Unis. Avec Donald Trump, les rapports entre les deux pays vont s’en trouver encore consolidés, et Benyamin Netanyahu n’en peut qu’être ravi.

Du reste, pratiquement tous les Présidents des États-Unis ont promis durant leurs campagnes électorales de transférer l’Ambassade américaine en Israël de Tel Aviv à Jérusalem, que l’État hébreu revendique comme sa «capitale éternelle» mais que la communauté internationale, dans son ensemble, ne reconnaît bien entendu pas comme telle. Or, la personnalité de Donald Trump laisse penser que, cette fois, la promesse pourrait devenir réalité, avec tous les risques que cela comporte.

Envers l’Iran, en effet, Donald Trump peut revenir en arrière ; déjà, il pourrait freiner la levée des sanctions. Cependant, une attitude par trop hostile envers l’Iran créera des difficultés au niveau de sa politique en Irak et en Syrie, dont l’axiome semble être «La Russie fait du bon travail contre Daesh, et Assad, l’ennemi de mon ennemi, est mon ami». Que va-t-il dire lorsque l’on parviendra enfin à lui faire comprendre que 91% des frappes russes en Syrie visaient non pas Daesh, mais l’opposition syrienne ?

Quant à la Turquie, comment Donald Trump va-t-il choisir de traiter avec elle ? Que va-t-il advenir du choix américain de s’appuyer sur le nord-ouest kurde qui s’est proclamé autonome ? Une chose est sûre, en choisissant une alliance avec la Russie, Trump doit revoir sa position de fermeté envers l’Iran, présent de manière effective en Syrie par des envois de troupes et de fonds au régime Assad.

En Irak, on sait que l’aviation militaire américaine couvre l’armée et les milices pro-iraniennes à l’œuvre contre Daesh. Combien de temps cette alliance objective va-t-elle durer encore ?

Il y a aussi les alliés historiques des États-Unis dans la région, notamment les monarchies de la Péninsule arabique, en tête desquelles, bien sûr, l’Arabie saoudite. Celles-ci en sont venues à penser ces dernières années que les États-Unis leur préfèrent désormais l’Iran, camp chiite bien discipliné en comparaison avec des pays sunnites en concurrence, tels l’Arabie saoudite, Qatar et Turquie, Égypte (bien qu’en déclin depuis l’accession d’al-Sissi au pouvoir). Pour l’heure, le seul résultat perceptible de ce choix est le chaos. Au demeurant, la question des tensions entre Sunnites et Chiites devra être prise en compte de manière plus large encore dans le Moyen-Orient.

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Enfin, en Égypte, le régime veut convaincre qu’il peut être un allié crédible de Washington. Néanmoins, après la normalisation des relations entreprise par la Turquie avec la Russie, l’on peut voir que le Maréchal al-Sissi est lui aussi en train d’amener son pays vers Moscou.

Il reste que, s’agissant de l’élaboration de la politique américaine dans la région, le choix le plus important sera bien celui du Secrétaire d’État (Secretary of State), équivalent américain du Ministre des Affaires Étrangères mais avec plus de pouvoirs encore que les titulaires de la fonction telle qu’on la conçoit en Europe. Le nom de Newt Gingrich circule effectivement, mais cela pourrait être aussi John Bolton, ancien Ambassadeur américain à l’ONU sous George W. Bush, ou encore Zalmay Khalilzad, Afghan de naissance, lui aussi ancien Ambassadeur à l’ONU mais aussi dans son Afghanistan d’origine, également sous le dernier Président républicain en date.

Justement, sous la présidence de George W. Bush, l’Administration se montrait, déjà, pro-israélienne mais aussi très interventionniste. Sur ce second point, les priorités affichées par le candidat Donald Trump rendent difficile un retour aux politiques interventionnistes.

«En tout cas, tout cela ne promet rien de bon», a commenté Ziad Majed. «Et je m’inquiète surtout pour la Syrie. Donald Trump prendra le pouvoir le 21 janvier prochain, d’ici là, Vladimir Poutine va vouloir accélérer les choses sur le terrain et cela va être très dur.»

Quant aux comparaisons parfois esquissées avec Ronald Reagan, Président républicain des États-Unis de 1981 à 1989, la personnalité de Donald Trump, a estimé Ziad Majed, ne rend pas celles-ci toujours opportunes.

René Backmann : Quelle Amérique sous Trump ?

Après les exposés des deux invités, René Backmann a eu deux questions pour chacun d’entre eux.

D’une part, le quotidien israélien Haaretz a fait état de la création, dans la foulée de la victoire de Donald Trump, d’une alliance entre Juifs et Musulmans aux États-Unis face au discours de haine qui a porté la campagne du candidat républicain. Est-ce là un signe annonciateur d’autres réactions à venir de même nature ?

D’autre part, le slogan de Donald Trump était «Make America great again», «Restaurer la grandeur de l’Amérique». Quelles peuvent être les applications pratiques d’une telle proclamation, notamment en matière de politique étrangère ?

Steven Ekovich, qui a pris la parole en premier, a évoqué un «affolement ponctuel» dans un contexte de «tensions attisées».

Prévoir Trump était difficile, et maintenant qu’il est élu, ce dont les Américains ont besoin, c’est de paix sociale.

On a souvent décrit Donald Trump comme homophobe, en raison de certains propos tenus pendant sa campagne. Il faut toutefois se souvenir que, dans un Parti républicain toujours aussi conservateur sur les questions de société, et où l’homosexualité continuait de n’avoir pas droit de cité, c’est bel et bien lui qui l’a imposée.

On l’a aussi dit islamophobe, et autour de lui, nombre de ses conseillers présentent en effet une haine viscérale et violente de l’Islam. En politique étrangère, l’effet négatif n’en est pas difficile à imaginer. Donc, en effet, Donald Trump est islamophobe.

Ziad Majed a affiné l’analyse de son collègue en précisant que, si d’aventure Donald Trump n’était pas lui-même fondamentalement antisémite, nombre des électeurs qui se sont portés sur lui, non moins dans les rangs de la droite chrétienne, le sont, ce qui ne vaut guère mieux. Néanmoins, cet antisémitisme ne se traduit pas, comme on pourrait le supposer au départ, par une attitude hostile à Israël. C’est plutôt le contraire.

Pour ce qui est des implications de l’islamophobie de Trump en politique étrangère, on peut les pressentir : clamée haut et fort, puis disparue un temps du site officiel du candidat puis réapparue, l’une de ses propositions les plus scandaleuses est l’interdiction d’entrée des Musulmans, de tous les Musulmans du monde, aux États-Unis. De toute évidence, la victoire de Donald Trump marque la fin d’une certaine forme du «politiquement correct».

Dans la même veine, la collaboration qui se profile avec le régime du Maréchal al-Sissi en Égypte mènera l’Administration Trump à fermer les yeux sur le sort des prisonniers politiques membres des Frères musulmans. Peu à peu, les condamnations auxquelles nous étions habitués de la part de l’Amérique vont se taire … Et changer de destinataires, car il s’agira de collaborer avec Moscou et les régimes prétendant combattre les «islamistes extrémistes» du mieux possible.

Le politologue a fait aussi remarquer que certains Américains avancent cette remarque : «Quand nous intervenons au Moyen-Orient, vous nous dites ‘C’est une catastrophe’. Mais quand Barack Obama choisit de ne plus y intervenir, vous dites là encore ‘C’est une catastrophe’. Bref, c’est toujours notre faute !».

Et, certes, comment attend-on que les États-Unis réagissent à toutes les crises qui éclatent dans la région, surtout au vu du rôle nouveau que joue désormais la Russie ?

George W. Bush se voulait le «gendarme» du Moyen-Orient, l’on sait combien sa politique désastreuse a coûté à la région. Barack Obama a commis l’excès contraire, celui de s’en éloigner par trop, et en effet, les conséquences n’en furent pas meilleures. Mais il y avait une voie entre ces deux positions extrêmes.

Aujourd’hui, au Moyen-Orient, la Russie s’impose par des raids aériens, ceux qu’elle mène en soutien aux forces assadiennes en Syrie. La Chine y est elle aussi présente, mais de manière plus modeste. Il s’agit donc de trouver la manière de leur faire barrage, de permettre un rapport de force les obligeant à négocier, à compromettre !

L’analyse de Steven Ekovich n’a pas déparé. Pour lui, un slogan comme «Make America great again» était possible à l’international dans les années 1950 ou 1960, mais aujourd’hui, il n’aurait de sens que sur un plan intérieur. Tant de promesses extravagantes ont été faites que l’on peut se demander, à l’heure de les tenir, qui va payer !

Tant le Président élu s’est empêtré dans des promesses qui ne seront pas toutes réalisables, chez les Démocrates, on en est déjà à envisager l’échec d’une présidence Trump.

Jusqu’au bout, tenter d’entrevoir l’Amérique à venir

René Backmann a enfin ouvert la séance de discussion avec la salle et questions aux invités. Comme c’est le cas la plupart du temps à l’IREMMO, les échanges furent passionnés mais toujours respectueux et pertinents, et c’était pourtant loin d’être gagné après un épisode aussi traumatisant que la victoire d’un Donald Trump que seul l’archaïque système du Collège électoral a sauvé d’une défaite humiliante.

Ziad Majed a expliqué que les forces de l’opposition syrienne se trouveraient bientôt dans une logique non plus de révolution mais de libération nationale, puisque le régime Assad ne tient plus que grâce à une présence militaire directe, autrement dit une occupation, des armées et milices étrangères qui le soutiennent.

Steven Ekovich a fait état de départs de plus en plus fréquents au sein de la Trump Tower à New York, à la fois quartier général et domicile de l’homme d’affaires Donald Trump qui devra bientôt la quitter pour entrer à la Maison Blanche en tant que Président. Apparemment, c’est Mike Pence, le Vice-président à venir, homme politique expérimenté, qui a pris en main la transition, alors que les caciques du Parti républicain continuent de dissuader qui que ce soit dans le parti de travailler avec le nouveau chef de l’Etat.

Interrogés sur les réticences exprimées par certains membres du Foreign Service, le service diplomatique américain, à représenter l’Administration Trump, les deux invités ont voulu répondre l’un après l’autre.

Steven Ekovich a voulu rassurer en rappelant que les membres du Foreign Service, de même que les équipes du Pentagone, sauront freiner et tempérer les ardeurs de leur Président si besoin est. S’il existe toujours des nominations politiques d’ambassadeurs, l’avantage éventuel de ceux-ci est qu’ils sont plus proches du Président que le seraient des diplomates de carrière, donc plus aptes à traiter avec lui rapidement. Quant aux ambassadeurs de carrière, l’ère des communications de masse qui est la nôtre a rendu leur rôle beaucoup moins pertinent qu’auparavant.

Ziad Majed a ajouté que, s’il existe en effet des membres du Foreign Service qui, à titre personnel, auront honte de représenter Donald Trump, l’immense administration que constitue ce service diplomatique américain continuera à travailler. Qui plus est, même des membres du Parti républicain qui se sentaient mal vis-à-vis du candidat Trump ressentiront l’attrait du pouvoir et sauront se placer. La politique américaine sera donc peut-être moins incohérente qu’on le croit, sauf éventuellement au Moyen-Orient où la conduite américaine reflètera plus qu’autre chose les tendances isolationnistes existantes en Europe, ayant mené par exemple au Brexit cette année. Sans nul doute, les think tanks, les lobbys et leurs grands cabinets d’avocats seront voués à étendre leur influence sur la diplomatie américaine.

Steven Ekovich a balayé l’idée que Donald Trump soit isolationniste au sens strict, attitude que le monde d’aujourd’hui ne permet d’ailleurs plus, considérant le nouveau Président comme étant davantage dans l’esprit «America first», donnant la priorité absolue aux intérêts américains. Pour Ziad Majed, la chute des prix du pétrole et l’émergence du gaz de schiste rebat les cartes en termes d’échanges économiques, l’ouverture des marchés en Iran ayant ce même effet ; de là dépendront les rapports que bâtira l’Administration Trump avec des pays tels que l’Arabie saoudite.

Il est essentiel, a souligné Steven Ekovich, de se souvenir que le système fédéral américain crée une grande souplesse au sein des partis politiques, la discipline à l’européenne n’y existant pas ; au Congrès, certains Démocrates votent ainsi de la même manière que les Républicains. Tout projet nécessite des négociations et des discussions pour rallier une majorité en sa faveur, ce à quoi Donald Trump n’échappera pas. Pour Ziad Majed, toutefois, la majorité républicaine dans les deux chambres du Congrès sera à même de faciliter la tâche du nouveau chef de l’État.

Le même Steven Ekovich ne voit pas Barack Obama entreprendre quoi que ce soit de spectaculaire d’ici son départ du pouvoir, tant il s’est prononcé pour une transition pacifique avec l’équipe Trump. Cela semble être l’image qu’il veut laisser dans l’histoire, sachant par ailleurs que, comme a poursuivi Ziad Majed, Barack Obama a créé un système d’assurance médicale, obligé les États-Unis à regarder en face les questions de racisme, normalisé les relations avec Cuba, conclu l’accord nucléaire avec l’Iran et a donc tenu une bonne partie de ses promesses électorales, sa dernière priorité étant de rassurer et de veiller à ce que les réformes qu’il a réalisées ne soient pas mises en danger par Donald Trump.

Sans oublier que, comme l’a enfin rappelé Steven Ekovich, le bilan d’un dirigeant est dressé in fine par les historiens. Il faut du temps pour juger l’action d’un Président américain, certains d’entre eux, comme Harry Truman et Ronald Reagan, ayant été décriés au moment leur départ mais étant plus tard revenus en grâce.

Pour le Président Donald Trump, tout commence en janvier …

 

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