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«Le conflit syrien pour les nuls» : Là où tant d’hommes ont échoué, cinq femmes peuvent réussir

Non, n’allez pas commander chez votre libraire ou sur Internet un exemplaire du livre Le conflit syrien pour les nuls, le dernier ouvrage en date proposé par la fameuse collection aux couvertures jaunes et noires. Vous ne le trouverez nulle part. Car il n’existe pas.

Malgré son titre qui peut prêter à confusion, Le conflit syrien pour les nuls n’est pas le dernier né de la collection «Pour les nuls» et n’est, en fait, même pas un livre.

Il s’agit d’un site Internet, au contenu téléchargeable gratuitement dans son entier, créé par un collectif dénommé Démocrates Franco-Syriens. Ce collectif, constitué en juin 2014, est un «groupe de réflexion et de travail sur le mouvement populaire syrien contre la dictature et pour le droit à l’autodétermination». Cette année-là, le 15 septembre, après un été marqué par la brutale montée en puissance de Daesh, l’ «État islamique» autoproclamé, et ses persécutions contre les minorités religieuses entre l’Irak et la Syrie, face à une opinion publique qui commençait déjà à revoir bien indûment son jugement de Bachar el-Assad, tant le tyran de Damas en costume-cravate lui semblait d’un seul coup supportable en comparaison des jihadistes déchaînés – en l’occurrence libérés de leurs chaînes par le même Bachar el-Assad – de Daesh, cinq de ses membres publiaient une tribune imparable dans Libération intitulée «L’État islamique et Assad, les deux têtes du serpent». Rien depuis n’est venu les démentir, si tout n’est pas venu au contraire leur donner raison.

Quant au site Le conflit syrien pour les nuls, son but est très clair. «Journalistes et universitaires, connaisseurs du pays, nous souhaitons dépasser un récit médiatique parfois trompeur. Nous vous proposons ici de décrypter le conflit, ses causes, ses étapes et ses protagonistes. Bref, d’apporter des réponses claires à des interrogations légitimes.»

Cinq expertes pour libérer la vérité

Alors que le terrorisme à Nice, Munich et Kaboul enracine tragiquement Daesh sur le devant de la scène médiatique, cinq des auteurs du Conflit syrien pour les nuls étaient venus ce 23 juillet présenter leur ouvrage aux Grands Voisins, dans les locaux de l’ancien Hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris, près de la Place Denfert-Rochereau.

A l’initiative de l’Association de Soutien aux Médias Libres, de la Caravane Culturelle Syrienne et des autres associations syriennes de Paris membres du Collectif de Développement et Secours Syrien (CODSSY), au nombre desquelles Souria Houria, chacun(e) y était convié(e) pour un festival consacré à la cause syrienne et intitulé «Syrien n’est fait».

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Livres sur le stand de l’association Souria Houria au festival Syrien N’Est Fait.

Et ces auteurs étaient en fait des auteures, membres de Démocrates Franco-Syriens. Accueillies également par une femme, Lamis Zolhof, membre du Conseil d’Administration de Souria Houria, elles ont été présentées tour à tour à un public impatient venu les entendre et leur poser ses questions :

Marie-Claude Slick, journaliste, Grand Reporter à TF1 jusqu’en 2013, ex-correspondante à Jérusalem et Moscou, aujourd’hui membre et bénévole de l’Association d’Aide aux Victimes en Syrie (AAVS),
Isabelle Hausser, écrivaine, auteure de nombreux romans parmi lesquels, sur la Syrie, Petit seigneur et Les couleurs du sultan, juriste de profession et aujourd’hui juge à la Cour nationale du droit d’asile,
– Hala Kodmani, journaliste franco-syrienne, auteure de La Syrie promise, chargée du Moyen-Orient au quotidien Libération,
– Manon-Nour Tannous, docteure en Relations internationales de l’Université Paris II et chercheure associée au Centre Thucydide (Paris II) et au Collège de France, chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, auteure d’une thèse sur les relations franco-syriennes sous les deux mandats de Jacques Chirac (1995-2007),
– Agnès Levallois est consultante, diplômée de l’Institut des langues et civilisations orientales et titulaire d’un DEA de l’Institut d’Études Politiques de Paris sur le monde arabe contemporain, auteure notamment de Moyen-Orient mode d’emploi en 2002.

Lamis Zolhof

De g. à d. : Marie-Claude Slick, Isabelle Hausser, Hala Kodmani, Manon-Nour Tannous et Agnès Levallois.

Dans une courte introduction, Lamis Zolhof a rappelé toute la difficulté de faire comprendre au grand public français ce qui se joue en Syrie, par-delà les raccourcis et simplifications dramatisées des médias. Quand Souria Houria ou d’autres associations tentent de mobiliser ce même public, la réponse accompagnant le mouvement de recul des personnes sollicitées est bien souvent la même : «Oui, mais la Syrie, vous voyez, c’est compliqué … On n’a rien qui nous permette vraiment de comprendre qui fait quoi !».

C’est de là qu’est né Le conflit syrien pour les nuls, site où sont reprises toutes les questions posées et où sont affichées les réponses à y apporter, le tout actualisé régulièrement.

Après que chacune des intervenantes s’est présentée, la discussion a été ouverte par Lamis Zolhof. «Posez toutes les questions que vous voulez !», a-t-elle conclu. Sur un sujet comme la Syrie, ce n’est pas sans risque de lancer un tel appel, tant les réactions hostiles voire haineuses peuvent être promptes à se faire jour. Pour autant, recourir à la censure n’est jamais un moyen de bien informer …  Le régime Assad en sachant quelque chose, puisqu’il y a justement recours en permanence. Pas question de lui emprunter de telles méthodes.

Et la discussion a commencé.

Sans haine ni violence …  Ni tabou

Pour qui observe les réunions publiques en France liées à la Syrie, du moins celles où se rend un public qui n’est pas forcément acquis au départ à la révolution syrienne, assister à une rencontre où ne se manifeste aucune violence verbale ou haine ouverte de la part du public est devenu un luxe, si ce n’est un fantasme. Mais c’est à ce prix que la cause de la Syrie libre peut se faire connaître et surtout entendre, écrasée par un consensus médiatique – parfois aux frais du contribuable – et décimée par la démagogie politique qui la réduit au mieux à une cause perdue, et au pire, à un avatar déguisé du terrorisme. Avec les conséquences que l’on imagine lors de débats publics.

Et pourtant. De la part de visiteurs de Syrien n’est fait qui avaient déjà patienté devant une porte refusant de s’ouvrir, faute de clé appropriée remise par les organisateurs, aucune parole violente ou haineuse, aucune saillie conspirationniste, en un mot, aucun propos malveillant.

Au contraire, un vrai désir de dialoguer, d’apprendre, de se défaire de ses clichés si besoin est …  Tout ce que Le conflit syrien pour les nuls entend accomplir, et qui, dans cette salle désaffectée du magasin général de l’ancien Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, est devenu réalité. Et comme il était promis en introduction, aucun thème abordé dans les questions n’a été éludé dans les réponses.

Sur les forces en présence, Hala Kodmani a souligné que la chronologie du conflit était à l’origine de la multiplication des parties au conflit syrien, qui n’opposait au départ que le régime de Damas et l’opposition. Au départ non-violente, la révolte réprimée dans le sang n’a eu d’autre choix que de prendre les armes, et alors que durait le conflit entre Armée arabe syrienne du régime et forces rebelles regroupées sous le nom d’Armée syrienne libre, de nouveaux acteurs sont apparus pour soutenir militairement les parties au conflit – Iran et Hezbollah libanais pour Damas, États du Golfe arabo-persique pour la révolution.

Ce n’est que plus tard que les groupes jihadistes, profitant du chaos apparemment sans fin, sont venus de l’extérieur du pays pour y accomplir des buts qui leur sont propres – Daesh lui-même n’étant pas syrien, mais venant d’Irak. Ces groupes ne font aucun cas de la Syrie, encore moins du peuple syrien.

Plus récemment encore sont apparus les Kurdes du Rojava. Eux sont bel et bien syriens, ayant pris les armes pour obtenir la réalisation de droits qu’ils réclament historiquement du régime mais n’avaient jamais pu obtenir. S’ils ne sont donc pas indifférents pour leur part à la Syrie, les raisons qui les poussent à se battre diffèrent néanmoins de celles, par exemple, des forces révolutionnaires.

Interrogée sur la position de la France dans le conflit, Manon-Nour Tannous a précisé que la situation en Syrie avait d’abord fait l’objet d’une tentative de gestion par les pays voisins, ainsi que la Ligue arabe, pour une solution qui soit proprement arabe. Mais les enjeux étaient trop importants pour que rien de tout cela réussisse.

La Russie refusant de voir cette crise lui échapper, elle s’y est introduite ; ont suivi les États-Unis et l’Union européenne. Le point culminant de cette internationalisation du conflit fut Genève I, le premier tour des pourparlers de paix sur la Syrie en 2012, où Américains, Russes et Européens étaient seuls présents. Régime et opposition furent finalement conviés à Genève II, en 2014, mais ne purent se mettre d’accord ne serait-ce que sur les thèmes à aborder. En 2015, le processus vit l’arrivée de l’Iran, pays engagé sur le terrain et en lequel l’on voulait voir un partenaire de la paix. Mais cette internationalisation à outrance n’a rien pu face à la terreur qu’inspire Daesh.

Après l’exécution par l’organisation terroriste d’un premier citoyen américain, Washington a mis en place une coalition militaire chargée de lutter contre le terrorisme. Puis la Russie est intervenue ouvertement aux côtés du régime, affirmant elle aussi lutter contre le terrorisme mais prenant en réalité pour cible des zones civiles et, plus encore, les forces de la révolution syrienne. Aucune de ces deux initiatives militaires n’a permis de faire avancer un éventuel processus de paix, n’ayant fait que réduire le champ de vision du monde à «Assad ou Daesh» aux dépens de la voie démocratique qu’incarnent les révolutionnaires. Le but en était d’amener le monde, réduit à une telle alternative, à choisir Assad que l’on aurait alors jugé moins monstrueux que Daesh ; mais cette démarche aberrante n’a fait que renforcer encore le groupe terroriste.

En ce qui concerne la France, l’ancien mandat en Syrie confère à Paris un passé colonial qui lui a permis d’être dès le départ en pointe dans le conflit, grâce à la connaissance française unique de la société syrienne. Tous les chefs d’État français se sont intéressés à la Syrie, même si le régime de Hafez el-Assad avait plus d’une fois provoqué la France par des attentats, y compris à Paris même, et des enlèvements au Liban. Sous Jacques Chirac, la tentative française de rapprochement avec Damas dans l’espoir de calmer les velléités syriennes dans la région n’a abouti qu’à l’assassinat du Premier Ministre libanais Rafic Hariri, sur lequel enquête aujourd’hui un tribunal mixte ONU/Liban siégeant à La Haye (Pays-Bas).

En Syrie, après un léger flottement dans les premiers temps de la révolution, Paris a finalement estimé que le régime Assad n’était pas un digne interlocuteur. L’alternance politique en 2012 n’a pas modifié cette position, devenue à partir de 2014 «Ni Assad, ni Daesh» ; mais la France s’est trouvée isolée à partir de l’été 2013, après les attaques du régime à l’arme chimique dans la Ghouta de Damas. Paris souhaitait intervenir militairement, mais Washington a conclu avec l’allié russe d’Assad un accord technique qui a sauvé le régime. L’isolement de Paris s’est depuis avéré constant, en Europe et ailleurs dans le monde, au sujet du conflit syrien.

Agnès Levallois a ajouté qu’à l’heure actuelle, le conflit échappait de plus en plus aux Syriens, se trouvant in fine entre les mains des puissances régionales et internationales qui y sont impliquées. Le nouveau tour de pourparlers de paix démontre bien que la résolution du conflit n’est plus entre les mains des seuls Syriens mais dépend des différentes implications régionales et internationales.

Le «brouillage du terrorisme», représenté par des attentats commis en dehors de Syrie, notamment en Europe, complique encore le jeu. La perception de la crise syrienne a complètement changé, à tel point que la seule grille de lecture aujourd’hui est celle de la lutte contre le terrorisme. On a oublié d’où vient ce terrorisme, d’où vient Daesh lui-même.

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Pourquoi Daesh a-t-il réussi à s’implanter de manière aussi vaste en territoire syrien ? Parce que le régime de Damas a abandonné tous ces pans de territoire que contrôle aujourd’hui Daesh, et il a sciemment permis au groupe terroriste de soumettre ainsi la vallée de l’Euphrate dans l’est du pays, sachant qu’il pourrait ainsi brandir la menace de Daesh auprès de pays occidentaux devenus hypersensibles à la question du terrorisme et devant protéger leurs populations.

C’est là le fondement de la position actuelle se résumant par «D’abord vaincre Daesh, ensuite on verra bien». Erreur d’analyse fondamentale ! A moins de s’attaquer au problème de fond, à savoir aux raisons qui ont fait que Daesh a pu s’installer en Syrie et devenir aussi nuisible, comment espérer résoudre ensuite le problème politique à l’origine du conflit ? A tout le moins, il s’agirait de traiter les deux problèmes en même temps. Sans quoi toute «lutte contre le terrorisme» n’a aucun sens.

Réagissant à une question sur la minorité alaouite, son accession au pouvoir et son influence sur les événements actuels, Isabelle Hausser est revenue sur l’histoire de cette minorité qui, selon elle, a été «fabriquée» par la France au temps du mandat ; il est important que nous reconnaissions nos responsabilités.

De même qu’il faut reconnaître que la majorité sunnite ne la traitait pas très bien, jusqu’à ce que les Français lui ouvrent les portes de l’armée syrienne où les sunnites ne voulaient quant à eux pas s’engager. Des cadres militaires ont été formés, l’un des exemples les plus notoires en étant Hafez el-Assad. Ce dernier n’est toutefois pas, comme on pourrait le penser, arrivé au pouvoir en une seule fois ; un premier coup d’État alaouite avait eu lieu en 1963 et ce n’est que dans un second temps que Hafez el-Assad est arrivé au pouvoir, se débarrassant à cette occasion de ses acolytes alaouites. C’est dans ces circonstances que la minorité alaouite est arrivée au pouvoir.

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Elle eut bientôt mis l’État sous coupe réglée, phagocytant non seulement les postes-clés de l’armée mais aussi les services de renseignement. Déplaçant les populations alaouites des campagnes vers les villes, le pouvoir les a rendues maîtresses de quartiers de Damas ou de Homs qu’elles n’avaient historiquement jamais occupés. Une politique délibérée fut mise en place dans l’armée syrienne pour favoriser l’achat de terrains et de maisons par les populations alaouites.

N’y a-t-il pas, encore aujourd’hui, un ressentiment des sunnites envers les alaouites ? En fait, ce ressentiment existe des deux côtés. Les sunnites se sentent massacrés par les forces syriennes tenues par les alaouites, qui sont eux-mêmes, en termes relatifs, la population la plus touchée par le conflit. Dans les fiefs alaouites de Tartous et Lattaquié, les cimetières se remplissent chaque jour un peu plus. Et chaque jour un peu plus, la tension monte aussi dans ces deux villes, moins contre les sunnites que contre le régime, le slogan contre Assad étant «Pour toi, le trône, pour nos enfants, la tombe !».

Et c’est terrifiant, car plus on attend pour régler le conflit, plus le ressentiment enfle et plus il sera difficile d’avoir ensuite un pays pacifié et d’établir une justice transitionnelle.

Hala Kodmani a ajouté qu’autour de cette situation, celle d’un pouvoir tenu par les alaouites et une contestation à forte coloration sunnite, se sont polarisés également des acteurs régionaux. Les alaouites sont rattachés au chiisme, donc liés à l’Iran, tandis que les sunnites sont soutenus par des pays tels que la Turquie ou les monarchies du Golfe où ils sont majoritaires. La polarisation régionale existante s’est donc greffée naturellement sur le conflit en Syrie.

La communauté alaouite n’est pas devenue d’elle-même le principal soutien du régime syrien ; au contraire, elle y a été contrainte dans le sang par la famille Assad.

Marie-Claude Slick a rappelé que les alaouites représentaient 10%, tout au plus 12%, de la population syrienne, les sunnites constituant de 72% à 75% des Syriens et le pays comptant aussi quelques 5% de Chrétiens, d’autres confessions religieuses encore étant présentes. Les sunnites sont donc une majorité numérique mais une minorité politique.

Si une bourgeoisie sunnite avait prospéré du temps de Hafez el-Assad, il n’en est plus ainsi aujourd’hui, l’un des cousins de Bachar el-Assad contrôlant toute l’économie syrienne dans un système d’ordre mafieux ; les sunnites ne sont donc plus, comme jadis, une majorité économique. Et bien sûr, ils demeurent nettement minoritaires dans les domaines du renseignement et de la sécurité.

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Cela dit, le regroupement de la communauté alaouite autour de la famille Assad ne s’est pas fait sans effusion de sang ! Chez les alaouites existaient des clans, des familles, qui n’étaient pas toutes d’accord avec les Assad. Aujourd’hui, non seulement les principaux postes publics sont confiés à des alaouites, mais ils le sont à des membres du même clan que la famille Assad ! Que ce soit dans le domaine économique ou militaire, tout est tenu par ce clan, tant du côté du père que de la mère. Ils sont tous interdépendants ; si l’un tombe, l’autre tombe également. Cela accroît bien sûr le blocage de la situation politique en Syrie.

Si bien que, s’agissant d’une minorité, la question peut se poser : qu’est-ce qu’une minorité ?

Quelqu’un voulait ensuite savoir quel était l’équilibre des forces en présence, avec quels moyens et quelle supériorité des uns sur les autres. Hala Kodmani s’est chargée de répondre.

L’Armée arabe syrienne du régime de Damas est une authentique armée nationale, avec tous les moyens que cela implique – aviation, blindés et tout le reste. Côté révolutionnaire, l’asymétrie est totale : des kalachnikovs, des fusils-mitrailleurs, quelques canons, mais on est de loin de l’équipement d’une véritable armée.

Bien que soutenue dans les mots par les pays occidentaux, la révolution syrienne n’a jamais bénéficié d’un soutien efficace en termes d’armement, notamment pas pour protéger les civils des attaques aériennes du régime.

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Quand on voit, depuis deux ou trois ans, comment le régime largue des bombes sur les zones contrôlées par la révolution, c’est à chaque fois dévastateur, il n’y a jamais rien à faire contre, des civils meurent en masse. A cause de ce déséquilibre, des villes entières ont été détruites. Malgré cela, la rébellion a réussi à gagner du terrain, car du côté de l’armée régulière, bombarder ne suffit pas ; il faut ensuite avancer, et cela demande de la conviction.

De la part des révolutionnaires syriens, la revendication est déjà ancienne envers les pays qui affirment les soutenir : il faut des armes, celles qui permettront de protéger les civils, notamment des armes anti-aériennes.

Pour ce qui est des groupes jihadistes, notamment Daesh, leurs moyens sont supérieurs parce que leur politique est celle des raids et des rafles de matériel. C’est ainsi que l’essentiel de l’armement de Daesh a été pris à l’armée irakienne. La corruption généralisée dans les institutions en Irak a fait que le groupe terroriste n’a eu aucun mal à s’emparer de blindés, de véhicules et autres équipements qui étaient censés ne jamais tomber entre ses mains.

Quant à savoir si l’Armée arabe syrienne est en mesure d’écraser la révolution ou Daesh, clairement, a répondu Hala Kodmani, c’est non. Les révolutionnaires savent se battre, y compris contre Daesh que l’Armée libre a chassé du nord du pays où il s’était implanté, d’où son repli aujourd’hui sur la vallée de l’Euphrate entre Syrie et Irak.

La première cible de Daesh n’est pas le régime de Damas, mais la révolution syrienne. Toutes les cartes retraçant les combats en Syrie le démontrent.

De toute manière, un conflit triangulaire comme celui-ci est toujours plus compliqué, car il en est toujours un pour profiter des faiblesses des deux autres.

Isabelle Hausser a rappelé que le régime bénéficiait aussi, à présent, de l’appui de l’aviation militaire de la Russie, seconde puissance militaire au monde.

Malgré cela, a remarqué Agnès Levallois, il est frappant de constater que, dans les faits, les combats continuent, les rebelles résistant toujours en certains endroits. Ce qui est quand même incroyable, c’est qu’après cinq ans d’un conflit où l’une des parties, le régime de Damas, est soutenue par l’Iran, des milices irakiennes et le Hezbollah libanais, celle-ci ne soit toujours pas parvenue à venir à bout de l’opposition syrienne qui poursuit le combat. Face à elle, le régime qui a bénéficié du soutien russe a ainsi pu, alors qu’il était sur le point de s’écrouler, larguer des barils d’explosifs sur la population civile, en particulier à Alep, avec tous les massacres qui s’en sont suivis.

D’autant, pour Marie-Claude Slick, que la révolution syrienne se bat sur deux fronts, puisqu’elle fait face au régime et à Daesh tout à la fois. Une carte le montrera sans ambiguïté : les principales lignes de front de Daesh ne sont pas avec l’Armée arabe syrienne mais avec l’Armée syrienne libre, celle de l’opposition. De même, les principales frappes du régime et de l’aviation russe visent, encore une fois, non pas Daesh mais bien l’Armée syrienne libre. Malgré cela, le régime ne parvient pas à l’emporter et les rebelles, qui se battent sur deux fronts, continuent à résister.

Depuis l’époque de Hafez el-Assad, le régime syrien joue sur le temps ; il pense que plus un problème va durer, plus il apparaîtra comme un moindre mal et sortira vainqueur. Ce qui s’est produit au moins par deux fois depuis les années 1980.

La question suivante, justement, a rebondi sur ce mystère : comment une armée régulière peut-elle ainsi ne pas venir à bout d’une guérilla, sauf à rechercher un embourbement volontaire afin de permettre au régime de se poser en recours ?

Agnès Levallois a répondu immédiatement que, depuis même l’époque de Hafez el-Assad, le régime syrien a ceci de particulier qu’il joue avec le temps. Pour lui, plus une situation perdure, plus il a de chances de s’en sortir, ce qui fut la stratégie de Hafez el-Assad pendant toute sa présidence.

En témoigne le massacre de Hama en 1982, qui fit entre 10 000 et 40 000 victimes ; à la réprobation venue de l’étranger, Hafez el-Assad opposa qu’il avait ainsi éradiqué le mouvement des Frères musulmans et que c’était pour le bien de la communauté internationale, ce qui avait en effet amené le monde à fermer les yeux. Avec le temps, il fut réintroduit dans cette même communauté internationale qui avait, non sans raison, fait de lui un paria.

Le même phénomène s’est produit après l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 ; trois ans après seulement, Bachar el-Assad était l’invité de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, pour le 14 juillet à Paris avec tous les honneurs.

Le régime joue sur sa capacité à résister, à gagner du temps, pour se faire oublier ou pour finir par se montrer comme étant un moindre mal. Inévitablement, l’arrivée de Daesh dans le conflit syrien a été tous bénéfices pour le régime qui, aujourd’hui, met cet élément en avant pour se prétendre moins mauvais que ledit Daesh – même si, l’a souligné Agnès Levallois, on peine à voir en quoi ! C’est néanmoins la rhétorique de Damas, qui passe son temps à se dire «Plus je gagne du temps, plus je vais m’en sortir, on finira par se rendre compte que je suis mieux que les autres, et finalement, je gagnerai la partie».

Des pans entiers de l’armée syrienne sont cantonnés dans les casernes et ne voient jamais le front, car il s’agit d’unités auxquelles Bachar el-Assad ne fait pas confiance et dont il pense que, dès qu’elles seront au combat, elles se retourneront contre lui.

Quant à savoir si, comme a relancé l’auteur de la question, il n’existerait pas une volonté délibérée du régime que l’Armée arabe syrienne ne se batte pas à 100%, Agnès Levallois a apporté une précision qui ne manque pas d’intérêt. En fait, l’Armée arabe syrienne ne peut pas se battre à 100%, car Bachar el-Assad n’a pas confiance en toutes ses unités !

Des pans entiers de cette armée ne sont donc pas envoyés sur le terrain en première ligne, car l’état-major a trop peur que ces militaires ne se retournent contre Bachar el-Assad. L’armée loyaliste n’est donc pas en mesure de déployer toute sa capacité sur le terrain, un certain nombre de ses soldats étant cantonnés dans des casernes de peur que, déployés sur le front, ils ne changent de camp.

L’Armée arabe syrienne n’utilise donc qu’une partie de sa capacité humaine ; c’est ce qui l’amène à solliciter les milices irakiennes et du Hezbollah pour venir lui prêter main forte, lesquelles arrivent avec un but clair et précis qui est de défendre le régime pour satisfaire leurs propres intérêts politiques et régionaux. A contrario, un militaire syrien n’aura pas forcément envie, même ayant reçu l’ordre de le faire, de tirer sur des troupes de l’opposition dans lesquelles sert son frère ou son cousin, qu’il risquerait ainsi de tuer.

C’est un problème qui se pose à l’Armée arabe syrienne, laquelle n’arrive plus par ailleurs à recruter. La question avait été évoquée précédemment des jeunes Alaouites qui désertent en masse, refusant de servir encore et toujours de chair à canon à Bachar el-Assad pour qui la communauté alaouite, qui ne va pas a priori se retourner contre lui, doit fournir l’essentiel de ses conscrits. Tous les jeunes de Syrie, au premier rang desquels les Alaouites, fuient donc en Turquie ou ailleurs car ils en ont assez, comme toutes les familles, de ce massacre organisé.

Pour toutes ces raisons, l’armée syrienne dispose, sur le papier, d’un nombre de combattants considérable mais qui, sur le terrain, s’avère bien moindre.

Manon-Nour Tannous a confirmé que si le chiffre était, en 2011, de quelques deux cent mille personnes sous les drapeaux, la gestion militaire paranoïaque du régime faisait que seulement un tiers d’entre elles se voyaient déployées sur le terrain. Le régime a épuisé les troupes en question en les envoyant à travers le pays, et aujourd’hui, l’armée syrienne est plus qu’autre chose une armée de milices où la décision revient à des chefs locaux, phénomène qui cohabite avec une professionnalisation accrue des milices qui investissent massivement le terrain syrien.

L’armée régulière syrienne n’est plus en état de se battre, a fortiori contre Daesh. Vouloir s’appuyer sur le régime pour combattre Daesh n’a donc aucun sens.

Le Hezbollah compte ainsi aujourd’hui quelques huit mille combattants en Syrie, extrêmement déterminés et plus encore choyés par le régime. L’an dernier, Bachar el-Assad a pris un décret présidentiel pour que la moitié des emplois publics aillent aux familles des «martyrs» de ces milices ainsi que des chabiha qui soutiennent la dictature, qu’importe que les bénéficiaires soient syriens ou étrangers, tant qu’ils s’engagent aux côtés du régime. Ce dernier est donc devenu totalement dépendant de ses parrains libanais, irakiens, iraniens ou afghans.

Bachar el-Assad s’est vanté d’avoir «repris» Palmyre, mais en réalité, il l’a fait sans combat, son armée n’étant absolument plus en état de se battre, notamment pas contre Daesh. Vouloir s’appuyer sur le régime Assad pour contrer Daesh n’a donc aucun sens.

Isabelle Hausser a donné l’exemple de la récente tentative de l’Armée arabe syrienne de reprendre Raqqa, «capitale» de Daesh. Les troupes syriennes s’étaient avancées à l’intérieur du Gouvernorat de Raqqa, mais en fin de compte, elles ont dû reculer.

C’est le moment qu’a choisi un spectateur pour aborder la question des Kurdes de Syrie, du moins ceux du Rojava dirigé par le PYD, le Parti de l’Union démocratique, qui est la branche kurde du PKK, ou Parti des Travailleurs du Kurdistan, de Turquie. Les forces armées du Rojava, appelées YPG ou Forces populaires de Défense, obtiennent pour leur part d’importants succès militaires contre Daesh.

Ce spectateur enthousiaste, qui a avoué l’avoir été également voici peu devant un reportage de France 24 sur un Rojava s’affirmant désireux d’égalité entre toutes et tous, progressiste et féministe, s’est aussitôt vu contredit – notamment sur le dernier point – par les cinq expertes, pour lesquelles les apparences ont pris trop de place dans la vision du jeune homme. Marie-Claude Slick a évoqué les images des belles femmes kurdes combattantes aux cheveux nus que met en avant le Rojava, dont les dirigeants oublient commodément d’ajouter qu’en s’engageant dans les YPG, nombre d’entre elles fuient en réalité des mariages forcés …

Le jeune spectateur semblait pourtant n’être pas naïf. Il se disait conscient que les YPG ne se sont jamais battues contre le régime, seulement contre Daesh, que l’on trouve au Rojava des enfants-soldats, que les financements de l’entité autonome autoproclamée sont opaques voire douteux, et que des massacres ont eu lieu dans certaines villes après que les YPG les ont reprises. Avons-nous donc affaire, demandait-il, à quelque chose qui n’est qu’un discours de façade ?

Attrapant au vol la question, Hala Kodmani a décrit d’entrée la question kurde comme un «conflit dans le conflit», en tout cas, une question en elle-même dans l’affaire syrienne. A l’instar de la population dans son ensemble, la communauté kurde a été sévèrement réprimée par le régime baasiste. Sauf que ce régime nationaliste arabe est allé jusqu’à tenter de gommer la différence kurde dans sa totalité, ayant interdit aux deux millions de Kurdes de Syrie, soit 10% de la population du pays, de parler leur langue et de pratiquer leurs traditions.

Dans les premiers temps de la révolution, le régime a tenté de «neutraliser» les Kurdes de Syrie en leur rendant les droits dont il les privait de longue date. Les Kurdes ont alors compris qu’ils étaient une force car ils constituaient en eux-mêmes un enjeu dans le conflit.

Lorsque la révolution syrienne a éclaté en 2011, les Kurdes ont pris des directions divergentes. Certains ont rejoint spontanément, dans les régions kurdes, le soulèvement populaire et ont été réprimés à l’avenant par Damas. Mais du côté justement de Damas, une tentative a eu lieu d’ «acheter» le soutien des Kurdes. C’est ainsi qu’une minorité privée depuis des décennies de tous ses droits, jusqu’au droit à la nationalité syrienne, les Kurdes de Syrie ayant été des sans-papiers dans leur propre pays, a d’un seul coup retrouvé l’ensemble de ces droits, en ce compris la citoyenneté syrienne ; par ce rétropédalage express, le régime espérait «neutraliser» cette partie de la population qui ne manquait pas de raisons de lui être hostile.

C’est à ce moment-là que les Kurdes ont pris conscience d’être une force, car un enjeu dans le conflit. Ils ont compris qu’ils tenaient une occasion historique de faire valoir leurs revendications de longue date, qu’elles soient identitaires, historiques, culturelles ou autres. C’est ce qui les a amenés à faire preuve de retenue envers le régime entre 2011 et 2013, affichant une certaine neutralité mais n’en pensant pas moins avoir gagné leurs droits.

Sur le terrain, les forces kurdes sont vues comme les seules à pouvoir combattre Daesh, et même les limites auxquelles elles font face n’entament pas l’ascendant dont elles disposent pour le moment.

Petit à petit, un mouvement politique et militaire kurde s’est formé qui a fini par prendre le dessus sur la communauté et les unités combattantes déjà organisées – bien entendu le PYD, branche syrienne du PKK turc. Aux revendications kurdes déjà connues s’en est ajouté une nouvelle, cette fois territoriale. Dans ce nord de la Syrie majoritairement kurde mais qui, par endroits, est très mélangé, les Kurdes étant même minoritaires par rapport aux Arabes dans certains villages, lorsque Daesh est entré en jeu, la mobilisation des Kurdes contre lui a été pour eux un moyen extraordinaire de leur affirmation et de leur ascension, accueillies par un soutien international comparable à celui qu’avait reçu le Kurdistan irakien face à Saddam Hussein.

Le résultat en est qu’aujourd’hui, les forces kurdes, YPG en tête, mènent la bataille et sont très soutenues, étant considérées sur le terrain comme celles qui peuvent combattre Daesh et elles seules.

Il est vrai que les Kurdes sont très opposés à l’islamisme en général, donc y compris sous sa forme extrême telle que l’incarne Daesh – bien qu’il existe des islamistes kurdes et que Daesh compte aussi des Kurdes dans ses rangs. Quoi qu’il en soit, le PYD, à l’instar de son mentor turc le PKK, est communiste, retenant d’ailleurs nombre de pratiques de type stalinien, et du fait opposé à Daesh sur un fondement idéologique.

Aujourd’hui, la situation est telle que les Américains s’appuient énormément, presque exclusivement, sur les forces kurdes, ne faisant pas confiance à d’autres groupes de l’opposition syrienne. Cela n’a fait qu’accroître encore l’ambition de la Turquie, qui s’est mise à conquérir des territoires, y compris des villes et des villages arabes dont la population s’est vue proprement déportée, des dizaines de milliers de réfugiés ayant ainsi été jetés sur la bande frontalière au nord d’Alep, la frontière étant celle avec la Turquie qui l’a fermée de son côté.

«Ils viennent de villes et de villages que j’ai visités l’année dernière,» a précisé la journaliste de Libération, qui se rend régulièrement en Syrie, «et je témoigne qu’ils en ont été proprement expulsés».

Tout cela a néanmoins ses limites, a-t-elle poursuivi. Les Kurdes sont tout de même peu nombreux, et s’ils sont de bons combattants dans leur fief, lorsqu’il s’agit de s’éloigner, par exemple vers Raqqa, les choses se compliquent. Malgré tout, même les Russes se sont mis à les appuyer et ils bénéficient d’une conjoncture qui leur donne un certain ascendant pour le moment.

Mais les Français les aident-ils aussi ? Tout le monde les aime bien, car depuis la grande bataille pour Kobanê en 2014, les Kurdes sont vus comme les seuls capables d’affronter Daesh. Et les Occidentaux sont très suivistes, les Américains soutenant un camp puis les Français, les Allemands et les autres prenant la file. «Je ne sais pas si les Français les soutiennent», a toutefois reconnu Hala Kodmani. «En tout cas, pas autant que les Américains.»

Une spectatrice a abordé l’existence, ou non, d’une politique européenne envers le conflit en Syrie. Isabelle Hausser a répondu sans ambiguïté qu’il n’y en avait pas, ce qui est dû à l’absence d’un accord sur la Syrie entre les États membres de l’Union européenne. La France est sur la même ligne que le Royaume-Uni – du moins, elle l’était avant l’arrivée au Foreign Office de Boris Johnson qui a tenu dans le passé des propos favorables au régime de Damas, nomination qui laisse donc craindre un changement de politique.

Qui plus est, les autres pays européens ne sont pas tous sur cette même ligne. Exception faite de l’armée britannique, aucune armée nationale en Europe n’est comparable en taille et en puissance à l’armée française, du moins aux fins d’engagement extérieur.

L’une des raisons de l’absence d’une politique européenne commune sur la Syrie est la crainte de certains pays de l’Est, tels la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie, de voir arriver massivement des réfugiés non-chrétiens dont ils ne veulent pas. Les gouvernements de ces pays veulent donc s’entendre avec Damas pour que ces Musulmans sunnites restent en Syrie.

De toute façon, a renchéri Hala Kodmani, les Européens ne s’entendent pas sur grand-chose !

Isabelle Hausser a souligné qu’il existait une question d’intérêts, mais non au sens économique, car il s’agit d’une divergence d’appréciation politique. La position française est celle du «Ni Assad ni Daesh», là où, en revanche, un certain nombre de pays européens pensent qu’il vaut mieux Assad que Daesh, certains ayant maintenu des ambassades à Damas et d’autres envoyant des missions auprès du régime.

Bien entendu, des parlementaires français se sont aussi rendus en Syrie ; mais lorsqu’ils partent, ils n’ont pas reçu pour cela d’ordre du Gouvernement, pas même l’approbation de celui-ci. Ne serait-ce que pour cette raison, il existe une nette différence d’appréciation.

Dans certains pays de l’Est, tels la Pologne, la Tchéquie ou la Slovaquie, une crainte tient les gouvernants, celle de l’arrivée massive de réfugiés non-chrétiens dont ils ne veulent pas. Ils considèrent donc qu’il faut s’entendre avec Assad pour que ces Musulmans sunnites restent en Syrie.

A ce propos, pourquoi Vladimir Poutine soutient-il le dictateur syrien ? Tout d’abord, et Isabelle Hausser n’a pu que le rappeler d’emblée, parce qu’il soutient tous les dictateurs !

A ce rappel a succédé celui de Hala Kodmani sur la relation politique et militaire ancienne entre Damas et Moscou. Depuis les années 1950, la Syrie avait l’Union soviétique pour principal allié, fournisseur de l’armée et équipementier militaire. La relation actuelle entre les deux pays reflète donc une continuité historique.

La Russie est opposée à tout changement de régime en Syrie qui ne serait pas de son fait, préférant un dictateur stable à un renversement du pouvoir par la population. En 2011, le conflit en Libye a lui aussi joué un rôle certain dans l’attitude russe. Mais tout cela est survenu, plus encore, à un moment où Vladimir Poutine et la Russie ont souhaité s’affirmer à nouveau comme étant très puissants sur la scène internationale, et la crise syrienne, creuset de tant de rivalités régionales et internationales, a fourni à la Russie une magnifique occasion de s’emparer du dossier pour démontrer qu’elle comptait comme grande puissance mondiale, ce qui consistait à soutenir le régime et se mettre en porte-à-faux avec les Occidentaux, ainsi que, dans la région même, avec les pays arabes soutenant la révolution syrienne.

Puis tout est allé crescendo, jusqu’à l’intervention militaire directe de la Russie en octobre dernier, à un moment où le régime ne se portait pas bien et son armée était vaincue sur de nombreux terrains. L’investissement militaire massif de l’automne dernier avait donc pour but de porter le régime à bout de bras, non par sympathie particulière de Moscou pour Assad mais parce que Vladimir Poutine voulait montrer qu’il pouvait peser et imposer ses choix.

Agnès Levallois a évoqué la question du terrorisme, l’attitude de ce même Vladimir Poutine face à l’islamisme radical étant bien connue. Il craint que les islamistes radicaux ne prennent pied dans les ex-républiques soviétiques à la frontière méridionale de la Russie, la crise tchétchène étant bien sûr à l’origine de ce qui est une véritable obsession chez Vladimir Poutine. Dès que le Président russe a vu émerger en Syrie des groupes se réclamant de l’islamisme radical, jusqu’à Daesh aujourd’hui, il s’est senti plus justifié encore dans sa volonté d’être présent sur le terrain et de lutter contre eux.

Sans oublier, a complété Marie-Claude Slick, les bases militaires russes en Syrie, au premier rang desquelles le port de Tartous qui est une ouverture sur la Méditerranée pour la Russie, revêtant ainsi une importance capitale.

Cela dit, a conclu Isabelle Hausser, Moscou n’aurait rien pu faire de tout cela si Barack Obama avait finalement décidé de frapper la Syrie en août 2013, au moment où le régime a utilisé l’arme chimique. La renonciation américaine a fait comprendre à Vladimir Poutine que les États-Unis étaient affaiblis et que la Russie pouvait en tirer parti. La «ligne rouge» fixée par Washington n’était rien de plus que des mots.

Même après avoir annoncé le retrait des troupes russes et rapatrié l’essentiel de son corps expéditionnaire, Moscou n’a pas pour autant cessé les frappes aériennes en Syrie.

Dans une dernière question, un membre de l’auditoire a demandé s’il n’était pas étrange que la Russie se trouve aujourd’hui en alliance avec l’Iran, république islamique comme son nom officiel l’indique, ainsi que le Hezbollah, mouvement de fondement religieux, pour soutenir le régime Assad qui se dit quant à lui laïc

Realpolitik, selon Agnès Levallois, et cynisme de la part de Vladimir Poutine, dont la bête noire, Daesh, se revendique de l’islamisme radical sunnite, ce qui fait qu’être en alliance avec l’Iran, majoritairement chiite, ne pose pas de problème. A quoi s’ajoutent des relations bien réelles entre l’Iran et la Russie avant même le début du conflit.

Dans l’équilibre de ces (re)compositions géopolitiques régionales, l’allié de la Russie sera naturellement l’Iran ; dans le même temps, Vladimir Poutine se rabiboche aussi avec l’Arabie saoudite et avec Israël. Par ailleurs, lutter contre Daesh ne le brouillera pas avec la république islamique qu’est l’Iran, car il s’agit là d’un sujet totalement distinct.

Néanmoins, la question est fondée, a relevé Isabelle Hausser, en ce sens que si la Russie décide un jour de lâcher le régime Assad, ses relations avec l’Iran ne pourront qu’en pâtir.

Soutenir la cause syrienne – rien de plus facile à faire !

Lamis Zolhof a repris la parole pour deux précisions.

D’une part, suite à cette rencontre, Le conflit syrien pour les nuls sera augmenté de tous les thèmes qui ont été abordés.

D’autre part, toute question nouvelle peut être soumise aux auteures par le biais du site Internet abritant l’ouvrage.

Il est important de pouvoir garder ce site à jour, une actualisation étant prévue pour septembre qui concernera toute l’actualité liée à la Russie et aux pourparlers de paix Genève III et IV.

A présent, chaque membre du public doit s’efforcer de soutenir Le conflit syrien pour les nuls en le faisant connaître, particulièrement en le faisant entrer dans les universités. Toute aide en ce sens sera la bienvenue.

Autre chose faisable tout de suite : envoyer le lien du site à tous ses contacts, autant que possible. Et, bien sûr, soutenir Souria Houria et/ou CODSSY.

Comme le disait Talleyrand …

Au bout d’un peu moins d’une heure dix de discussion, la rencontre prit fin et le public remercia les intervenantes par des applaudissements sincères.

Une rencontre sur la Syrie où chaque intervenant(e) à la tribune est écouté(e) attentivement et les questions posées sur un ton courtois, c’est toujours ce que l’on espère mais bien moins souvent ce qui se produit. Et pourtant, c’est ce que les cinq auteures du Conflit syrien pour les nuls ont réussi en ce samedi après-midi à Paris.

Pour parler d’un conflit qui, à l’instar de toutes les guerres, intéresse principalement des hommes, les chefs des parties intéressées étant d’ailleurs tous des dirigeants masculins, serait-il donc plus judicieux de s’adresser à des experts féminins ? Aller dans cette direction, c’est bien sûr s’exposer à verser dans le cliché.

Même en étant conscient de ce risque, il est impossible de ne pas penser à une phrase célèbre de Talleyrand, ecclésiastique devenu homme d’État et diplomate sous la Révolution, le Premier Empire puis la Restauration et enfin la Monarchie de Juillet, surnommé le «diable boiteux» en raison d’un pied-bot dont il souffrait depuis l’enfance, et que l’on ne pouvait qu’admirer ou détester – tel Napoléon Ier qui n’avait pas hésité à le qualifier de «merde dans un bas de soie» (sic).

Et parmi les propos désarmants de celui dont l’une des revendications était «Appuyons-nous sur les principes, ils finiront bien par céder !», il est cet aphorisme : «Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir».

Si Talleyrand n’en finira jamais de soulever la controverse, il n’est en revanche aucune contestation à avoir sur ce qui s’est passé en ce jour. Là où tant d’hommes parmi les experts et/ou les chantres de la révolution syrienne ont échoué, de leur tribune, à maintenir la salle en bon ordre et délivrer leur message dans le calme, les cinq invitées de Syrien n’est fait y sont magnifiquement parvenues pour leur part, elles qui avaient déjà donné naissance ensemble, avec d’autres, au Conflit syrien pour les nuls.

Porter les armes, dit-on, est une affaire d’hommes, même si les armées et mouvements de guérilla du monde entier ou presque comportent désormais aussi des femmes. Quoi qu’il en soit, à l’issue de cette rencontre, une évidence s’impose : pour expliquer et promouvoir la révolution syrienne, être une femme, c’est avoir en soi une force et une habileté qui, face au public, sont de sérieuses armes pour la victoire.

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This entry was posted on 09/08/2016 by in Peuple kurde, Révolution syrienne, Russie.

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