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Ziad Majed : “L’Administration Obama n’a jamais souhaité intervenir en Syrie”

ENTRETIEN

Au-delà du scandale que le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a provoqué, au sein de la révolution syrienne et ailleurs, en déclarant qu’il faudrait tôt ou tard « négocier avec Bachar al-Assad », et toute maladroite tentative du Département d’Etat de revenir sur ces propos mise à part, que comprendre des intentions des Etats-Unis par cette déclaration qui, n’en déplaise à Washington, ne pouvait être accidentelle et encore moins innocente ?

Le politologue Ziad Majed, professeur de politique internationale et comparée à l’Université américaine de Paris, auteur de l’essai Syrie : La révolution orpheline (1), nous offre son éclairage sur cette situation aussi confuse que l’a été la communication de l’Administration américaine ces derniers jours.

Ziad Majed

MY GLOBAL SUBURBIA – Après la déclaration de John Kerry selon laquelle les Etats-Unis devraient tôt ou tard « négocier avec Bachar al-Assad », le Département d’Etat américain a tenté un rétropédalage et une explication de texte qui ne se sont guère montrés convaincants. A un poste pareil, on ne peut tout de même pas dire n’importe quoi sans penser qu’il y aura ensuite des conséquences ; donc en fin de compte, cette tentative de rattraper les propos de John Kerry n’est-elle tout simplement pas inutile ?

ZIAD MAJED – Quand on est le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, on choisit les termes et le timing d’une déclaration, on fait forcément attention aux interprétations et aux messages que l’on peut recevoir suite à des déclarations pareilles.

Je pense que John Kerry a bien choisi ses propos, d’autant qu’il a fait cette déclaration à la veille de sa rencontre avec le Ministre iranien des Affaires Etrangères, Mohammad Javad Zarif, en Suisse, et je pense d’ailleurs que le message est beaucoup plus destiné aux Iraniens qu’à Bachar el-Assad lui-même, car les Américains savent qu’Assad n’est plus le maître de Damas et que ce sont les Iraniens qui gèrent directement la campagne militaire comme politique du régime. Je pense donc que Washington a ainsi voulu envoyer un message positif avant les négociations sur le nucléaire, puisque ces négociations-là touchent également à la situation régionale et non pas au seul dossier technique nucléaire, même si ce dernier reste le dossier central dans les pourparlers.

Maintenant, les clarifications consistant à dire qu’il n’y a rien de nouveau par rapport à Genève I et Genève 2, que c’est aux Syriens de décider si Assad fera partie d’une transition ou pas, ce sont des clarifications diplomatiques « classiques ». A mon avis, la déclaration de John Kerry a fait des dégâts, sur le plan politique et diplomatique, puisque les voix des normalisateurs et des propagandistes du régime Assad dans plus d’une capitale occidentale et arabe s’élèvent maintenant en disant « Voilà, les Etats-Unis souhaitent échanger et négocier avec lui, donc il faut suivre cette même démarche » ; et sur le terrain, comme à chaque fois qu’il y a un signe positif pour lui au niveau des déclarations ou contacts internationaux, Assad commet un massacre de plus. Et cette fois, ce fut le massacre de Sermin, dans la région d’Idlib au nord de la Syrie, contre des civils, qui a fait sept morts (dont des enfants) et pour lequel il a probablement été fait usage de chlore dans les barils explosifs qui ont été lâchés d’un avion.

Par ailleurs, je pense qu’il n’y a pas de changement majeur dans la position américaine, même dans l’hypothèse où John Kerry a très bien choisi ses termes et son message. Depuis le début de la révolution syrienne, l’Administration Obama n’a jamais été claire sur ce qu’elle voulait, l’hésitation d’Obama a permis de prolonger le malheur des Syriens et l’épisode chimique de l’été 2013 fut une catastrophe.

La seule « ligne rouge », aussi discutable ce concept soit-il en premier lieu, que Barack Obama avait fixée, à savoir l’usage d’armes chimiques, a été franchie et violée. Mais il n’a rien fait, ce qui a encouragé le régime et ses alliés à aller encore plus loin dans la barbarie et dans la répression.

MY GLOBAL SUBURBIA – Vous mentionniez l’été 2013, c’était il y a moins de deux ans et à cette époque, Américains et Français étaient pourtant prêts à intervenir militairement en Syrie ; il s’en est fallu de peu. Pourtant, aujourd’hui, que peut-on comprendre des propos de John Kerry s’agissant du recours à la force par les Etats-Unis contre le régime syrien, si ce n’est qu’ils y renoncent de manière définitive ?

ZIAD MAJED – Je pense que les Etats-Unis n’ont jamais souhaité le recours à la force militaire contre le régime Assad. La politique de Barack Obama au Moyen-Orient est une politique de désengagement. Il a retiré les troupes américaines d’Irak, où leur intervention avait été catastrophique. De manière générale, je ne pense pas que les choses puissent jamais se régler par une seule intervention militaire, mais quand bien même celle-ci a lieu, il y a toujours une perspective et des principes à respecter.

Obama voulait donc le retrait d’Irak, il l’a eu, et il n’était pas question pour lui d’envoyer des troupes, ou même d’effectuer des bombardements en Syrie. Or, tout au long du conflit syrien, après que la révolution a été forcée de se militariser à cause de la répression féroce et terrible du régime et de ses alliés, les menaces d’usage de la force auraient pu être utiles si l’on avait pu sentir qu’elles étaient sérieuses.

Parfois, menacer d’user de la force peut aider à calmer ou à contenir une situation. Et la seule fois où l’on a pensé que Washington serait contrainte de recourir à la force – non par souhait profond, mais par obligation – par exemple à travers quelques frappes aériennes sur les bases de l’armée syrienne qui ont tiré les missiles à tête chimique contre la population civile le 21 août 2013 et contre certains aéroports servant à transporter les barils explosifs et les missiles, on a pu voir que le régime avait extrêmement peur, qu’il y a eu des gens qui ont commencé à quitter le navire en pensant qu’il allait sombrer, parmi lesquels des officiers et des soldats qui ont fait défection.

Plus important encore, on a vu tout de suite que les alliés du régime qui prétendaient être les plus forts et pouvoir le défendre contre toute agression ont cherché à négocier à tout prix pour éviter l’usage de la force. Moscou, qui avait dans un premier temps nié la responsabilité du régime dans les massacres chimiques, alors même qu’Assad et son régime niaient jusqu’à la possession d’armes chimiques, a finalement dit tout de suite que Damas était prêt à rendre tout son armement à la commission internationale, à donner des centaines de tonnes d’armes chimiques, pour éviter une punition ! Malheureusement encore une fois, pour Obama, il fallait rendre l’arme du crime et non pas juger le criminel ou le punir, pour que tout se calme. Puis l’on en est revenu à ce qu’il appelait « dialogue » et « processus politique ».

Donc nous ne sommes pas dans une logique d’intervention militaire, cela n’a jamais été le cas. Barack Obama n’a jamais voulu de cela. S’il l’avait voulu à temps, il aurait pu le faire sans avoir recours au Congrès, comme il l’avait tenté à un moment donné, puisqu’il ne s’agissait pas de l’envoi de troupes au sol dans la durée, auquel cas le Congrès devait donner son accord préalable ; ses propres pouvoirs en tant que Président lui auraient permis de le faire. Il ne l’a pas fait.

Les Etats-Unis ne cessent d’appeler à une solution politique en Syrie, alors qu’ils savent très bien qu’elle n’existe pas.

Les Britanniques n’étaient pas non plus très enthousiastes. Ils auraient pu jouer sur le projet de loi que le Gouvernement avait envoyé à la Chambre des Communes, probablement en prenant en compte le fait qu’il y avait des risques réels qu’il soit refusé. Ils ne l’ont pas fait non plus.

Donc, la France a été seule dans sa démarche de vouloir frapper le régime suite à l’usage de l’arme chimique, et frapper juste quelques-unes des bases militaires pour l’affaiblir et pour obliger ses deux soutiens à négocier. Ce n’était pas une intervention militaire au sol, il ne s’agissait pas d’une invasion de la Syrie – comme se sont plus à le prétendre certains propagandistes du régime syrien en août 2013 – et depuis cette époque, l’Administration Obama a toujours tenu le même discours : « Il n’y aura pas d’usage de la force, nous souhaitons une solution politique », bien que les Etats-Unis soient très conscients qu’il n’existe aucune solution politique avec le régime Assad.

La seule politique que ce régime connaisse, c’est le recours à la violence. S’il l’avait voulu, ce régime aurait pu en effet opter pour une solution politique, en 2011, 2012, 2013, puis en 2014, mais il ne veut que le maintien de son pouvoir absolu, et pour y parvenir, il n’a jamais hésité à bombarder, détruire et massacrer. Il a deux alliés, tout aussi déterminés qu’il l’est, et une partie de leur détermination provient très exactement du sentiment que dans le camp adverse, donc le camp américain et occidental, il n’existe pas en réponse de détermination égale, ce qui leur permet d’aller encore plus loin à chaque fois.

Or l’usage de la force contre Assad aurait pu être indirect, à travers l’armement de l’opposition syrienne, surtout en 2012 et 2013, quand cette opposition comptait dans ses rangs des dizaines de milliers de combattants qui étaient les fils et les enfants des villages et des villes de Syrie bombardés par le régime. Ils constituaient l’Armée syrienne libre, et cela bien avant l’arrivée des jihadistes non concernés par la cause syrienne, ou la montée des factions islamistes au sein de l’opposition. Cela n’a pas été fait.

Ils demandaient des missiles sol-air pour se protéger et, surtout, protéger la population civile des bombardements aériens. Ils ne les ont pas obtenus. Ils demandaient des antichars sophistiqués pour détruire les chars du régime qui les bombardent. Ils ne les ont pas obtenus, ou bien en (trop) petite quantité et seulement dans certaines localités. Ils ont demandé une zone d’exclusion aérienne, cela n’était pas possible, bien évidemment à cause des vetos russe et chinois au Conseil de Sécurité de l’ONU.

L’Administration Obama est responsable, directement ou indirectement, de la situation actuelle en Syrie.

Il y avait pourtant d’autres moyens de le faire, surtout quand Barack Obama a décidé d’utiliser la force contre Daesh, « l’Etat islamique ». A ce moment-là, ils auraient au moins pu dire « Pour le temps que dureront nos opérations militaires en Syrie et en Irak, il n’est pas question de voir l’aviation du régime syrien bombarder en même temps que nous sommes dans l’espace aérien syrien ». Cela non plus, les Américains (et la « communauté internationale ») ne l’ont pas fait.

Le résultat en est qu’au même moment où les Etats-Unis bombardaient certaines positions de Daesh, le régime syrien bombardait les civils, exactement dans la même région du même pays ! Pour Assad, c’était un message que lui envoyaient les Etats-Unis, lui disant qu’ils le laissaient faire du moment qu’ils avaient le contrôle de l’espace aérien en Syrie.

De ce fait, l’Administration Obama est partiellement responsable, directement ou indirectement, de la situation d’aujourd’hui en Syrie. Sans aller pour autant jusqu’à dire qu’ils souhaitent qu’Assad se maintienne au pouvoir. C’est qu’ils ne se sentent pas concernés par une résolution rapide du conflit syrien, ni par un engagement de leur part menant à la chute d’Assad.

MY GLOBAL SUBURBIA – Pour en revenir à Barack Obama, il termine son second mandat, donc sa présidence entière s’achève. Il est donc ce que l’on appelle aux Etats-Unis un lame duck, « canard boîteux », d’autant que son Parti démocrate a perdu le contrôle de tout le Congrès au profit de l’opposition de droite du Parti républicain. Sur l’Iran, des élus républicains n’ont pas hésité à le défier ouvertement auprès des autorités iraniennes. Dès lors, comment analyser en termes politiques internes les propos de son Secrétaire d’Etat John Kerry ?

Voici vingt ans, Bill Clinton, Président démocrate lui aussi privé du Congrès, avait remporté de francs succès en politique étrangère, à Dayton où il avait mis fin à la guerre civile en Bosnie-Herzégovine mais aussi, et surtout, au Vietnam où il avait normalisé les relations vingt ans après la fin de la guerre qui s’était soldée pour les Etats-Unis par une lourde défaite. Peut-on voir en les propos de John Kerry une tentative désespérée de Barack Obama de normaliser, à son tour, avec l’Iran, même au prix de concessions ne serait-ce que verbales envers l’allié de Téhéran Bachar al-Assad ?

ZIAD MAJED – C’est même plus que ça encore. Barack Obama n’a jamais caché que l’une de ses priorités, durant ses deux mandats, était de tourner la page du conflit avec l’Iran.

En ce qui concerne le Moyen-Orient, Barack Obama avait trois priorités :

– Le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan,

– Le dossier palestinien, donc la possibilité d’une « paix durable » entre Israéliens et Palestiniens,

– La réconciliation avec l’Iran.

Pour ce qui est du retrait des troupes d’Irak et d’Afghanistan, il l’a fait, sauf qu’à présent, il envoie de nouveau des troupes là-bas pour bombarder Daesh. Cela montre que l’interventionnisme de George W. Bush a été une catastrophe, mais aussi que le retrait des troupes sans coordination, d’une manière qui offrait presque le pays à l’Iran, en était une aussi. Et le résultat de ces deux catastrophes, celle de Bush puis celle d’Obama, c’est l’émergence de Daesh et la puissance qui est la sienne aujourd’hui. Certes, ils ne sont pas les seuls responsables, il y a d’autres raisons à cela, d’autres racines du mal, d’autres circonstances qui ont permis à Daesh d’émerger, mais les politiques de Bush puis d’Obama sont responsables elles aussi, que ce soit directement ou indirectement.

Obama veut normaliser les relations avec l’Iran comme il l’a fait avec Cuba. Sauf qu’avec l’Iran, c’est beaucoup plus compliqué.

Sur le dossier israélo-palestinien, Obama s’est montré hésitant et n’a pas joué le rôle qu’il prétendait vouloir jouer. Il a été confronté à Benyamin Netanyahu et à la droite et extrême israélienne dont on sait aujourd’hui qu’elle va se maintenir au pouvoir (2). Il n’a pas pu les forcer à respecter le droit international et les résolutions onusiennes. Il leur a même demandé juste de geler la colonisation des territoires occupés, ils lui ont dit non, et Netanyahu est venu à deux reprises au Congrès américain le défier et recevoir des standing ovations comme si c’était lui le maître des lieux, et non simplement un invité en provenance d’un Etat allié des Etats-Unis. Donc, c’était pour Obama un échec terrible par rapport à sa politique palestino-israélienne.

En ce qui concerne le troisième volet, la priorité donnée aux négociations avec l’Iran, Obama veut faire avec le pays ce qu’il a fait avec Cuba, en tournant la page des mauvaises relations et du blocus économique, sauf que là, c’est beaucoup plus compliqué. Il y a le dossier nucléaire, il y a le rôle de l’Iran dans la région, il y a les Républicains qui sont très inquiets par rapport à cela, il y a le lobby sioniste à Washington qui n’est pas favorable à une réconciliation pareille, et il y a les hésitations d’Obama proprement dit et, à mon avis, son manque de savoir-faire par rapport aux pourparlers avec Téhéran. Du côté iranien, il y a deux tendances également : une qui veut normaliser à tout prix, pour un bon nombre de raisons y compris économiques – la fin des sanctions, la reconnaissance d’un rôle iranien, puis des investissements qui pourraient échoir au pays – et l’autre qui n’est pas pour une accélération de ce processus-là en considérant que, dans tous les cas, l’Iran n’est pas inquiété militairement, l’Iran progresse dans la région, le programme nucléaire progresse également, on doit gagner plus de temps, on doit laisser Obama compter les jours qui lui restent à la Maison Blanche, avant de décider si on signe ou on ne signe pas.

Maintenant qu’il y a aussi des membres du Congrès américain qui envoient aux Iraniens des lettres dans lesquelles ils écrivent que le prochain Président ne sera pas tenu de respecter les accords que l’Iran signerait avec le Président actuel, il peut y avoir, en Iran aussi, plus de voix et de positions divergentes quant aux négociations avec Obama. Et on ne peut pas, à l’heure qu’il est, savoir comment cette affaire va se terminer ou quelles seront, en fin de compte, les conditions d’un accord, ou bien d’un désaccord, avec des conséquences dans les deux cas.

Le régime syrien a profité de la bienveillance de Barack Obama envers l’Iran, son allié, pour commettre ses massacres.

Sur ce même volet, il faut rappeler que depuis quelque temps, il y a des chercheurs, ainsi que des proches conseillers d’Obama, qui considèrent que l’Iran et ses alliés chiites dans la région doivent être des partenaires des Etats-Unis car ils sont minoritaires, « disciplinés » et moins « nocifs » que les forces islamistes d’un monde sunnite énorme, éclaté, au sein duquel existent plusieurs Etats concurrents les uns des autres – Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, Pakistan et Egypte, même si Le Caire est affaibli pour le moment – ce monde sunnite n’offrant pas d’interlocuteur unique. Il semble même que les conseillers d’Obama aient retiré le Hezbollah et l’Iran des listes américaines des entités terroristes ou soutenant le terrorisme.

Evidemment, le régime Assad, allié de l’Iran, essaye d’en profiter de cette nouvelle configuration pour vaincre la révolution.

MY GLOBAL SUBURBIA – Au sujet de la Russie et de la Chine, qui protègent le régime Assad par leurs vetos continuels au Conseil de Sécurité, les observateurs ont vite fait remarquer à l’époque que, vu la manière dont les deux pays ont été piégés par Washington sur le dossier libyen, les Etats-Unis les ayant convaincus de ne pas opposer de veto à une résolution autorisant le recours à la force contre le régime de Muammar Kadhafi, jamais plus Moscou ni Beijing ne feraient ainsi confiance une nouvelle fois et les Syriens en paieraient immanquablement le prix.

Voyant quel est le soutien apporté par Moscou, et dans une moindre mesure par Beijing, au régime syrien et considérant le climat de guerre froide de plus en plus prégnant entre Etats-Unis et Fédération de Russie, que pouvait donc espérer en toute logique John Kerry en tenant de tels propos, tant ceux-ci paraissent incongrus ?

ZIAD MAJED – Je pense que John Kerry est beaucoup plus concentré sur les Iraniens que sur les Russes et les Chinois.

La Russie a soutenu Assad, elle le soutient toujours, et les Russes sont prêts à utiliser le veto encore au Conseil de Sécurité si nécessaire pour ne pas permettre que le régime soit sérieusement menacé. Mais sur le terrain, au niveau de la force militaire et de l’effort militaire pour maintenir en place le régime, ce sont de loin les Iraniens et leurs alliés qui protègent Assad.

D’autant plus que maintenant, les Russes sont affaiblis économiquement, avec la dévaluation du rouble, la chute des prix du pétrole qui sera sur la durée une catastrophe pour la Russie, avec les sanctions européennes et américaines suite à leur intervention en Ukraine.

En se positionnant dans le court terme, les Etats-Unis prennent des risques qui peuvent être fatals à leur politique au Moyen-Orient.

Par ailleurs, je pense aussi qu’il peut se produire un échec entre les Iraniens et les Américains. C’est pourquoi, pour le temps qu’il reste avant la fin de leur mandat, Kerry et Obama risquent de devoir se repositionner par rapport à la Syrie.

Les Américains sont beaucoup plus aujourd’hui dans le court terme, beaucoup plus que dans le moyen ou long terme. Ils prennent ainsi des risques, et ces risques peuvent être fatals pour leur politique régionale, d’autant que certains de leurs alliés dans la région, la Turquie et l’Arabie saoudite en particulier, commencent à se plaindre et à considérer que les Etats-Unis sont en train de les trahir, qu’ils ne sont pas suffisamment fermes et présents. Les Turcs les ont même critiqués ouvertement avant-hier en disant que Washington prenait des positions non éthiques révélant de l’arrogance et de l’ignorance. Tout cela risque de coûter aux Américains une partie de leur capacité à contenir les conflits en menaçant ou en faisant pression.

MY GLOBAL SUBURBIA – Mais tout de même, pour un pays qui se veut, comme les Etats-Unis depuis toujours, le phare de la démocratie et des Droits de l’Homme dans le monde, et dont le gouvernement ne peut ignorer l’étendue et la persistance des massacres commis par les troupes de Bachar el-Assad, même si Washington dit aujourd’hui, à l’instar en France de Paris-Match ou des quatre parlementaires qui se sont récemment rendus à Damas, que tant Daesh est devenu menaçant, il vaut mieux renouer avec Assad pour contrer cette menace, quel peut bien être l’intérêt, et surtout quelle peut être la logique, de chercher à rendre ainsi une légitimité à un régime qui, par ses violences mêmes, est directement responsable de la création de ce même Daesh que les Etats-Unis prétendent ainsi endiguer ?

ZIAD MAJED – Je voudrais faire ici deux remarques.

Tout d’abord, il y a un véritable problème qui va se poser dans tous les cas : que les Etats-Unis normalisent avec Assad ou que la normalisation soit un échec total, et on va rester pendant quelques temps dans le flou avant que les choses finissent par se clarifier, il existe de plus en plus de preuves des crimes de guerre et crimes contre l’humanité imputables à Assad. En ce moment même, une exposition de certaines des photos du rapport Caesar a lieu aux Nations Unies, c’est-à-dire des photos sorties clandestinement de Syrie – 55 000 photos, représentant 11 000 cadavres, de personnes torturées, tuées, affamées à mort par le régime syrien dans les geôles de la seule Damas, ce qui montre que c’est le régime qui est responsable, du sommet de l’Etat jusqu’aux geôliers qui ont tué tous ces gens.

Le régime Assad a perdu toute légitimité politique et peut être poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Il y également des preuves sur l’usage du chlore, il y a une documentation très importante sur des milliers de cas où c’est le régime, directement, qui est responsable de massacres et de meurtres, responsabilité qui est prouvée. Donc, non seulement le régime a perdu toute légitimité populaire, si tant est qu’il l’ait jamais eue en premier lieu, mais aussi toute légitimité politique, et même au niveau juridique, c’est un régime qui peut facilement être cité devant la Cour pénale internationale à La Haye ou devant, par exemple, un Tribunal pénal international pour la Syrie.

Assad ne peut plus quitter la Syrie, et d’ores et déjà, aujourd’hui, il ne quitte même plus son palais présidentiel dans « son propre pays », ou qu’il croit l’être encore. C’est un criminel de guerre, et il sera probablement poursuivi dans plusieurs pays lorsque l’on saura les nationalités de toutes les victimes non syriennes. Déjà, la famille du Docteur Abbas Khan, le médecin britannique qui était parti en Syrie travailler dans l’humanitaire et qui a été arrêté, torturé et tué dans les geôles du régime syrien, tente de trouver des possibilités d’attaquer le régime en justice.

Il y aura de nombreux problèmes à ce niveau-là et les Américains en sont conscients, de même que le sont les alliés du régime eux-mêmes. Assad est voué à devenir un problème pour tout le monde ! Je ne pense donc pas qu’une normalisation à moyen ou long terme soit possible avec lui.

Le message que l’on envoie aux Syriens est que plus l’on commet de crimes graves, plus l’on a de chances d’échapper à la justice.

Ce qui est très grave par ailleurs, avec les déclarations de Kerry et de certains hommes politiques européens, c’est qu’elles laissent entendre deux choses :

– La première : « Plus on tue, plus on menace de mort, plus on a de chances d’échapper à tout châtiment, car il faut éviter le pire et la justice n’est pas une priorité ».

– La deuxième : « Si l’on commet des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité dans le monde arabe ou dans le monde musulman, les coupables peuvent rester au pouvoir et redevenir nos partenaires parce que ‘Vous voyez, là-bas, c’est différent, parce que les gens, là-bas, ce n’est pas dramatique s’ils sont gouvernés par des criminels et par des tueurs d’enfants’ ».

A mon avis, cela révèle un racisme profond ! Et tous ceux qui soutiennent ce genre d’arguments sont soit des racistes pleins de haine, soit des gens médiocres, ignorants, soit, lorsqu’ils sont dans le grand public, des naïfs qui sont manipulés par ce qui se dit et ne savent pas de quoi il s’agit.

Et tout cela est un véritable encouragement à la montée de l’extrémisme, celui de Daesh et d’autres organisations terroristes, parce que cela nourrit le sentiment d’abandon, celui de gens qui en viennent à penser que dans tous les cas, ils se feront massacrer et personne n’interviendra pour les défendre, et qui en arriveront à penser que ce n’est pas grave s’ils prennent les armes avec telle ou telle organisation, du moment que cela leur permet de se défendre et de défendre leurs enfants.

Je pense que c’est cela qui se joue, et à mon avis, c’est très dangereux. Voilà qui peut encourager tous les gens qui tiennent des discours de haine anti-occidentale à travers le monde arabe et musulman à dire qu’en Occident, on n’en a rien à faire de la vie et de la dignité des gens qui vivent dans cette partie du monde, puisque l’on y accepte de faire des compromis avec un Assad, comme on l’avait fait avant avec un Saddam, avec un Kadhafi, avec des criminels pareils. Bien évidemment, tout cela vient s’ajouter à l’injustice en Palestine, qui nourrit elle aussi ce sentiment qu’il y a toujours deux poids deux mesures.

Alors que les révolutions arabes de 2011 auraient pu et dû créer une nouvelle dynamique et de nouvelles relations entre la région arabe et le reste du monde, en lieu et place, les politiques actuelles et la barbarie qui s’abat sur les gens risquent de rendre la donne encore plus compliquée.

(1) Sindbad – Actes Sud et L’Orient des Livres, Avril 2014.

(2) Entretien réalisé le mercredi 18 mars 2015.

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This entry was posted on 22/03/2015 by in Révolution syrienne.

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