ENTRETIEN
«La femme est l’avenir de l’homme», disait Louis Aragon et le chantait Jean Ferrat en lui rendant hommage. De là à conclure que toute violence commise contre une femme parce qu’elle est une femme constitue une attaque contre l’avenir du genre humain, il n’y a qu’un pas.
Comment, dès lors, comprendre les violences de genre, celles que commettent des hommes envers des femmes parce qu’elles sont des femmes ? En particulier, comment comprendre qu’un homme puisse violenter, voire tuer, la femme à qui il a dit qu’il l’aimait, à laquelle il aura dit oui devant le maire et/ou le prêtre et qui lui aura donné une descendance ?
L’on croirait de telles barbaries reléguées dans les ténèbres du passé, mais loin s’en faut. Aujourd’hui encore, partout dans le monde, par-delà les frontières étatiques, les différences politiques, religieuses, culturelles, linguistiques, les violences contre les femmes demeurent une réalité quotidienne et universelle. En France, ce pays qui se veut «patrie des Droits de l’Homme» mais pas toujours pour autant de ceux de la femme, cette dramatique réalité n’existe pas moins qu’ailleurs.
Ce n’est pourtant pas faute par ce pays d’avoir adopté les bonnes dispositions dans sa législation, les violences faites aux femmes étant désormais considérées en France comme présentant une gravité spéciale et emportant de lourdes condamnations pour leurs auteurs, et pour cause – plus d’une victime y laisse jusqu’à sa vie.
Mais au quotidien, les textes de loi restent encore beaucoup trop souvent lettre morte, et si le mépris des droits des femmes par leurs tortionnaires en reste la première cause, l’ignorance des femmes quant à ces mêmes droits joue elle aussi en cela, aussi involontaire soit-elle, un rôle considérable. Comment peut-il en être ainsi, avec un arsenal juridique français en la matière qui s’est vu constamment renforcé au fil du temps ? Surtout, quelle(s) solution(s) apporter à ce problème ?
Deux femmes se sont posé ces questions, auxquelles elles ont aussi apporté des réponses et, mieux encore, les réponses «autorisées» des deux avocates qu’elles sont. Maîtres My-Kim Yang-Paya et Céline Marcovici, du Barreau de Paris, respectivement Présidente et Secrétaire Générale de l’association Avocats Femmes Violences, publient ce 26 janvier un Guide juridique de la Femme victime de violences, ouvrage court et concis par lequel elles entendent fournir aux victimes de violences de genre les informations qui leur manquent pour faire de la loi leur meilleure arme.
Maître My-Kim Yang-Paya, Membre du Conseil de l’Ordre (g.), et Maître Céline Marcovici (d.) – Crédit photo : Association Avocats Femmes Violences
MY GLOBAL SUBURBIA – Quelle a été la motivation première pour écrire votre ouvrage, et à quel public le destinez-vous par priorité ?
MY-KIM YANG-PAYA – Notre association existe depuis 1997, époque à laquelle je l’ai cofondée, comme je l’explique dans notre ouvrage. Les années passant, les femmes se sont vues plus soutenues, mieux écoutées, et c’est vrai qu’il y a eu un long travail de l’association pour alerter les pouvoirs publics, ainsi que l’opinion publique au sens large, sur les violences à l’encontre des femmes. Et je précise que ce livre n’est pas consacré seulement aux violences conjugales ; par «violences contre les femmes», nous entendons aussi le harcèlement moral et psychologique, les atteintes sexuelles, les viols, les coups et blessures … Nous ne nous limitons pas ici au cercle familial.
Si nous avons voulu écrire ce livre, c’est parce que nous nous sommes rendues compte que, de manière générale, les femmes ont souvent beaucoup de pudeur, voire ont honte, mot qu’il ne faut pas hésiter à employer, d’aller au commissariat ou même, simplement, de se confier à des tiers, à des proches.
Elles sont quelquefois isolées ; autant, par exemple, à Paris, les centres d’écoute sont nombreux, autant, quand vous vivez à la campagne, par exemple isolée dans une ferme, voire dans des milieux sociaux plus aisés – je pratique l’équitation et ai eu un jour un cas de cet ordre dans un centre équestre en Picardie ; ma cliente était isolée et n’osait pas se rendre à la gendarmerie voisine car le brigadier connaissait son mari –. Dans ce genre de situation, vous ne recevez pas les explications, l’attente et l’accompagnement dont vous avez besoin en pareil cas.
Nous avons donc voulu écrire ce livre comme un guide de démocratisation à l’usage de celles qui viendraient, hélas, à connaître de telles tragédies.
Nous l’avons intitulé «Guide juridique» mais ce que nous voulions pour notre part, c’est que ce soit un guide destiné aux femmes victimes de violences afin qu’elles connaissent leurs droits, donc davantage un guide pratique.
CÉLINE MARCOVICI – Personnellement, l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu écrire ce guide, c’est que je me suis rendue compte dès le début de mon exercice professionnel que, lorsque les femmes viennent nous voir au sujet de violences conjugales, notamment dans le cadre d’une procédure de divorce, elles ont en elles ce mal-être, cette gêne de parler des violences qu’elles subissent parfois quotidiennement et n’ont généralement pas eu connaissance des informations nécessaires.
Certes, des informations sont diffusées largement, un peu partout et notamment sur Internet, sans toutefois permettre à ces femmes de trouver les réponses à leurs questions. En effet, chaque situation de violence est différente.
C’est notamment l’objectif de ce guide : porter à la connaissance de ces femmes victimes de violences l’ensemble de leurs droits, et je ne parle pas uniquement des violences conjugales mais de toutes les formes de violences (violence physique, violence psychologique, harcèlement sexuel…).
Par ailleurs, nous avons pu constater qu’en l’espace d’un entretien ou d’une consultation, elles n’osent pas non plus poser toutes leurs questions.
Un autre problème, dans le cas des violences conjugales, est que les victimes se disent «Tout de même, il s’agit du père de mes enfants, va-t-il aller en prison ? Ou revenir puis me frapper ?». Il nous a donc paru primordial qu’elles sachent, maintenant, comment les choses vont se dérouler – si tout se passe bien, il va sans dire, car au-delà de l’emploi des termes juridiques, la réalité n’est pas toujours celle que dicte le droit.
MY GLOBAL SUBURBIA – Vous partez d’un constat qui est le suivant : «Ce n’est qu’au XXIe siècle qu’a véritablement été prise en compte la nécessité de légiférer pour endiguer les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dont les femmes sont victimes dans leur couple, au travail ou dans leur vie quotidienne». Vous justifiez dès lors la pertinence de votre ouvrage en rappelant que «les lois qui ont été votées sont encore souvent ignorées ou mal comprises alors même que le nombre de victimes reste alarmant».
Il est vrai que, depuis l’année 2010 où les violences contre les femmes avaient été consacrées Grande cause nationale, le problème semble avoir gardé toute sa gravité sinon être devenu plus incontrôlable encore qu’auparavant. En 2014, 118 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints, ce qui représentait 18,74% des homicides non crapuleux et violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner.
Il y a bien le 39 19, la ligne téléphonique gouvernementale pour les victimes de violences, mais comme vous en faites le constat, pour autant, la loi ne passe pas, et en premier lieu, elle ne va pas jusqu’aux victimes.
Pourquoi, d’après vous, la loi continue-t-elle de ne pas atteindre tant celles qu’elle doit protéger que ceux qu’elle doit punir ? Et qui, ou qu’est-ce qui, est à blâmer pour cela ?
MY-KIM YANG-PAYA – Je ne pense pas que quiconque soit à blâmer pour cela, dans la mesure où, depuis plusieurs décennies, les gouvernements qui se sont succédé ont opéré une véritable prise de conscience de ce phénomène – même s’il est vrai que celle-ci a été pour le moins tardive, en effet.
La France a pris des mesures contre les violences faites aux femmes parce qu’elle y a été incitée par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Cette question est restée bien trop longtemps un tabou. A présent, il est indispensable que l’on ait conscience que cette question est un véritable phénomène de société. Rappelons que, si la France a pris des mesures contre les violences faites aux femmes, spécifiquement, donc les violences de genre, c’est parce qu’elle y a été incitée par la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui a obligé les États membres à prendre des dispositions spécifiques pour combattre les violences à l’encontre des femmes.
Ces dispositions sont venues, mais avec du retard. Aujourd’hui, l’accélération du mouvement est évidente. Pour autant, il faut que les nouvelles générations, et j’entends ici les commissaires de police et les officiers de police judiciaire, soient formées en conséquence, et il est vrai que cela prend du temps.
Il faut également sensibiliser les magistrats dans le cadre de l’École nationale de la Magistrature, ainsi que les officiers de police judiciaire, pour que ceux-ci n’incitent plus aujourd’hui les femmes à déposer seulement une main courante. Quelquefois, l’accueil de certains commissariats n’incite en tout cas pas les victimes à aller plus loin dans leurs démarches, alors qu’il leur est déjà difficile de pousser la porte d’un commissariat et que, pour peu que l’on y soit mal reçue, même si les officiers de police judiciaire appliquent la loi, car il leur a été bien fait comprendre qu’ils devaient prendre en considération la plainte, une victime qui y va déjà à reculons n’aura pas envie d’insister.
CÉLINE MARCOVICI – Pour ajouter quelque chose au sujet de cette évolution progressive et récente, il faut savoir que depuis octobre 2009, la plupart des commissariats et gendarmeries sont dotés d’une Brigade locale de la Protection de la Famille (BLPF). Cette brigade est composée d’officiers de police judiciaire spécialisés dans les violences intrafamiliales (violences conjugales, violences sur mineurs) et notamment de psychologues.
Ainsi, ces référents au sein même du commissariat vont pouvoir, dès le dépôt de plainte, traiter cette affaire en y apportant toute leur expérience en la matière.
MY GLOBAL SUBURBIA – Dans le cadre de votre association Avocats Femmes Violences, quelles sont les constatations pratiques que vous tirez de la situation actuelle ?
MY-KIM YANG-PAYA – Du point de vue de la considération en amont des violences à l’encontre des femmes, ainsi que je le soulignais précédemment, je pense que les choses évoluent positivement. En revanche, et je vais peut-être me montrer un peu sévère, je trouve qu’au stade judiciaire, on constate un certain phénomène de lassitude.
Trop de communication tue la communication ; j’ai l’impression que, dès que l’on aborde les violences contre les femmes, et je pense que Céline sera d’accord avec moi …
CÉLINE MARCOVICI – Absolument.
MY-KIM YANG-PAYA – Dès que l’on aborde le sujet, donc, dans le cadre d’une instance, il arrive que le juge ne veuille pas en entendre parler ou que, quelquefois, ces violences ne soient pas prises en considération, voire qu’elles soient remises en cause, comme si notre cliente, par exemple, brandissait les violences contre les femmes comme un étendard pour obtenir la garde exclusive des enfants du couple …
Dans le monde judiciaire, on a perdu le liant et le lien avec les magistrats.
Des dispositions ont également été prises en direction des femmes étrangères pour leur permettre, lorsque l’on leur retire leur titre de séjour, de voir proroger celui-ci si elles sont victimes de violences, et là encore, on en vient de plus en plus à soupçonner les plaignantes d’abus.
Peut-être de tels abus ont-ils existé, certes ; en tout cas, je trouve que l’on est aujourd’hui moins entendue auprès des tribunaux quand on soulève ces questions. J’exerce la profession d’avocat depuis vingt-cinq ans, et il est vrai qu’au début, il existait un petit cercle de magistrats très sensibilisés à ces problèmes, et avec lesquels il était tout-à-fait possible d’en parler en toute confiance. Quand j’allais présenter un dossier et disais qu’il y avait violences, on savait que mes dossiers étaient solides, que j’avais vraiment quelque chose de sérieux.
Peut-être est-ce là aussi un résultat de l’évolution du monde judiciaire, où l’on a perdu le liant et le lien avec les magistrats. On nous demande de déposer les dossiers, on nous demande d’être courts dans la plaidoirie, on nous demande de réduire nos conclusions, donc, en fait, les magistrats semblent lassés par ce genre de dossiers.
CÉLINE MARCOVICI – Ce d’autant plus lorsque les femmes saisissent le Juge aux Affaires familiales, qu’il existe donc une véritable urgence liée à un contexte de violences conjugales, et que l’on veut obtenir une date d’audience aussi rapprochée que possible, cependant que la femme n’a pas immédiatement déposé plainte. Dans une telle situation, le magistrat peut se montrer exaspéré en entendant qu’aucune plainte n’a été déposée, alors même qu’on sait pertinemment quant à nous que notre cliente a été victime de violences.
Il y a toujours cette même incompréhension alors qu’il s’agit pourtant d’une réaction connue, c’est-à-dire que les femmes victimes de violences hésitent pour diverses raisons (peur des représailles, sentiment de honte, état de dépendance économique à l’égard de l’auteur des violences) à déposer plainte, en tout cas dans l’immédiat.
MY GLOBAL SUBURBIA – Voilà qui est inquiétant, dans la mesure où le magistrat devrait, tout au contraire, être en principe le premier à comprendre ce problème ! Alors que faire ?
MY-KIM YANG-PAYA – Il faudrait organiser des rencontres, j’ignore si elles ont encore lieu car j’y assistais souvent jadis, de commissions qui réunissaient procureurs, juges aux affaires familiales et présidents d’associations. Nous y échangions sur les difficultés que nous rencontrions dans notre métier à tous stades de la procédure. D’anciens officiers de police judiciaire étaient aussi présents et je pense qu’il faut recréer ce lien.
MY GLOBAL SUBURBIA – Pour en revenir à votre association, Avocats Femmes Violences, quels sont les moyens d’action que vous possédez et, notamment, quel est le soutien que vous apporte le Barreau de Paris ?
MY-KIM YANG-PAYA – Le Barreau de Paris nous apporte un fort soutien, puisque notre association est subventionnée, dans le cadre du Fonds de Solidarité, par les intérêts que génère la CARPA [NDLR : Caisse des Règlements Pécuniaires des Avocats, organisme intervenant dans les maniements de fonds par les avocats, par exemple dans le versement de l’aide juridictionnelle]. Lorsque le Gouvernement a tenté récemment de réformer l’aide juridictionnelle en demandant aux avocats de la financer eux-mêmes, cela revenait à rogner dangereusement sur les subventions données aux associations comme la nôtre.
Le Barreau de Paris accueille également, dans le cadre du Bureau des Associations, Avocats Femmes Violences qui a son siège à la Maison du Barreau, rue de Harlay, où des personnes que nous remercions dans notre livre, telles que Laurence Le-Tixerant, nous aident en organisant les plannings et en convoquant des commissions, en plus de quoi le Barreau y met à notre disposition une salle pour se réunir et tout l’intérêt de la chose est que nous pouvons y organiser facilement ces colloques.
Il est regrettable que, lorsque le Barreau de Paris organise un colloque, il ne sollicite pas toujours les associations spécialisées.
MY GLOBAL SUBURBIA – Certaines photos publiées sur des réseaux sociaux montrent que vos événements à la Maison du Barreau accueillent souvent un public nombreux. Votre action recueille donc une large audience au sein du Barreau de Paris ?
MY-KIM YANG-PAYA – Oui, en effet. Et il faut savoir que la participation à ces colloques est validée au titre de la Formation Continue Obligatoire des avocats.
En revanche, nous sommes étonnées que le Numéro Vert de l’association, le 0820 20 34 28, indiqué en page 122 du Guide, numéro qui est celui de notre permanence téléphonique des lundi, mardi et jeudi de 15H à 19H, reçoive tout compte fait très peu d’appels … Alors qu’il est tenu par des avocats, formés en la matière, membres de notre association ! Peut-être les victimes préfèrent-elles appeler le 39 19. Nous nous interrogeons donc sur l’opportunité de maintenir cette permanence ou de lui préférer, justement, l’organisation de conférences pour sensibiliser chacun(e) et diffuser l’information.
MY GLOBAL SUBURBIA – Maître Yang-Paya, vous venez d’être élue au Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris, en quelque sorte le «gouvernement» des avocats parisiens. Comment définiriez-vous, en l’état actuel de l’Ordre, à savoir jusqu’au bâtonnat de Pierre-Olivier Sur qui s’est achevé fin décembre, la conscience qui est celle de l’institution par rapport au problème des violences contre les femmes ?
MY-KIM YANG-PAYA – Cette conscience existe, des colloques ont lieu chaque année sous l’égide du Barreau de Paris, et cela fut le cas sous le bâtonnat de Pierre-Olivier Sur comme du temps de sa devancière, Christiane Féral-Schuhl – qui a beaucoup œuvré, d’ailleurs, pour l’égalité hommes-femmes, cause qui était son «cheval de bataille» –.
En revanche, et c’est l’un de nos constats, là où notre association existe, il en est bien d’autres au sein du Barreau de Paris, œuvrant pour d’autres causes, et chacun travaille dans son coin. C’est dommage que, quand l’Ordre des Avocats organise un colloque sur un sujet donné, il ne sollicite pas toujours les associations spécialisées.
MY GLOBAL SUBURBIA – Voilà qui est très surprenant ! Le profane s’imaginerait, loin de là, que l’association va être chargée d’organiser le colloque, et non pas tenue à l’écart …
MY-KIM YANG-PAYA – En tout cas, notre association n’a jamais été sollicitée à cette fin. Cela explique que notre nom n’apparaisse pas, alors que l’association existe depuis 1997 et que, comme je vous le disais, on met à notre disposition des locaux et nous avons un Numéro Vert. Pour autant, dans les colloques du Barreau sur les violences conjugales, nous n’avons jamais été consultées.
C’est pourquoi, le 25 novembre dernier, avec Céline et toute l’association, nous avons organisé un colloque dans la salle haute de la Bibliothèque du Palais à l’occasion de la Journée internationale contre les Violences Faites aux Femmes.
Les femmes sont désormais reconnues à part entière au sein de la profession d’avocat, mais leur nombre parmi les dirigeants de cabinets demeure dérisoirement peu élevé, et sur les plateaux de télévision ou dans les conférences, soit elles sont manquantes, soit elles sont systématiquement écartées des thèmes liés au monde des affaires et aux affaires publiques.
MY GLOBAL SUBURBIA – Après un bâtonnat précédent entièrement masculin, nous avons aujourd’hui en place un duo «mixte» avec Frédéric Sicard et Dominique Attias. Qu’attendez-vous des nouveaux Bâtonnier et Vice-Bâtonnière au plan de cette cause que vous défendez ?
MY-KIM YANG-PAYA – Il y a en tout cas la personnalité de Dominique Attias. Elle a dirigé l’Antenne des Mineurs et a toujours été très impliquée dans la cause des enfants. Elle est donc sensibilisée aux violences et à l’écoute.
CÉLINE MARCOVICI – En effet, lorsque j’ai travaillé au sein de la Chambre des Mineurs de la Cour d’appel de Paris, j’ai pu assister à une intervention de Dominique Attias qu’elle a effectuée dans le cadre d’une réunion annuelle entre Juges des enfants.
MY-KIM YANG-PAYA – C’est une femme engagée, travailleuse, très impliquée, très à l’écoute. Aujourd’hui élue au Conseil de l’Ordre, j’apprends à mieux la connaître, mais depuis le départ, je suis persuadée qu’elle est prête à écouter, justement, ce que notre association a à dire. S’agissant des associations qui travaillent chacune dans son coin, comme je l’évoquais précédemment, elle m’avait justement dit que c’était dommage de ne pas recenser le travail des associations.
MY GLOBAL SUBURBIA – Aujourd’hui, la profession d’avocat est très largement féminisée, les femmes y étant même devenues majoritaires, non pas seulement à Paris mais à travers toute la France.
Subjectivement, comment cette évolution est-elle perçue par vos confrères, et objectivement, quelles sont les évolutions que ce «changement de sexe» de l’avocature en France a apportées à la pratique de votre métier ?
MY-KIM YANG-PAYA – Pour moi, je ne veux pas que nous soyons vues à travers une différence. Je ne pense pas qu’il y ait fondamentalement une différence. Cela dit, il y a effectivement eu à tout le moins une évolution : on ne fait plus de différence entre homme et femme. Peut-on dire, bêtement, que les femmes ont une «sensibilité différente», comme le voudrait le cliché bien connu ?
Non ! Je pense que nous sommes reconnues, ce qui est toujours une bonne chose.
CÉLINE MARCOVICI – Je vais être un peu sévère dans mon jugement, mais on dit parfois que, comme les études de droit sont plus longues, il n’y a que nous qui puissions les mener à bien sans trop d’impatience car nous sommes plus rigoureuses … Et plus sérieuses !
MY-KIM YANG-PAYA – En revanche, un constat plus triste est qu’il y a encore peu de femmes dans des postes de direction au sein des cabinets. Sur ce plan-là, il y a beaucoup de travail à faire. Que ce soit sur des plateaux de télévision ou dans des conférences, je suis toujours amenée à me dire : «Dis donc, il n’y a pas beaucoup de femmes ici …». Dès que ça touche au monde des affaires, ou aux affaires publiques, les femmes deviennent invisibles.
MY GLOBAL SUBURBIA – Parleriez-vous ici, selon l’expression du chercheur Vincent Geisser, d’une «assignation communautaire» ?
MY-KIM YANG-PAYA – Exactement ! Par exemple, si vous êtes une femme, on va vous «assigner» au droit de la famille, à tout ce qui concerne les enfants … Non parce que vous seriez spécialisée dans ce domaine, mais du seul fait d’être une femme, sans préjudice de quoi que ce soit d’autre.
MY GLOBAL SUBURBIA – Après les attentats de janvier 2015, Pierre-Olivier Sur qui était alors Bâtonnier préconisait de faire jouer un rôle éducatif et pédagogique aux avocats dans les collèges et lycées afin de promouvoir le civisme et faire reculer ainsi le risque de radicalisation menant au terrorisme.
Selon vous, serait-ce possible de l’envisager aussi pour promouvoir l’égalité de genre, plus spécialement l’obligation de respect du droit des filles, et a fortiori des femmes, auprès d’une jeunesse souvent en proie à des endoctrinements politiques extrémistes ou religieux intégristes, voire à des messages sexistes véhiculés par les textes et les clips de rap (par exemple, en 2009, Orelsan et son titre ordurier Sale pute où un homme menace de mort une femme parce qu’elle l’aurait trompé), dangers contre lesquels des associations féministes «officielles» n’ont pas forcément su la protéger ?
CÉLINE MARCOVICI – Oui, c’est vrai qu’au même titre que les actions menées dans l’enseignement pour contrer la radicalisation, il serait bon à mon sens d’organiser, déjà au sein de l’école primaire, des interventions sur la parité et l’égalité entre les hommes et les femmes.
C’est vrai que, notamment, les programmes scolaires ont évolué, ce qui se voit déjà dans les classes à partir du collège ; au travers des cours d’éducation civique, on essaie déjà petit à petit d’enseigner ces valeurs et ces principes. Il serait toutefois bon aujourd’hui de les renforcer, et que l’apprentissage de ces notions fondamentales se fasse dès l’école primaire.
MY-KIM YANG-PAYA – Non, je pense pour ma part qu’on n’a pas besoin de faire une politique spécifique de droits des filles, de droits liés au genre. Je pense qu’il faut simplement, si c’est possible, enseigner le respect des uns et des autres, ce qui est d’ailleurs un principe de notre déontologie : la dignité, respecter l’autre. Partant de là, il va de soi que l’on écartera naturellement la discrimination fondée sur le genre, que l’on rejettera la radicalisation, le racisme, l’antisémitisme …
En tout cas, je partage tout-à-fait cette volonté éducative, qu’avait justement exprimée Najat Vallaud-Belkacem, la Ministre de l’Education nationale, et cette volonté d’intervenir au sein de l’école. Même s’il ne faut pas rentrer dans une politique qui soit par trop «féministe», j’entends une démarche qui appuierait par trop l’idée de différence.
Il est évident que garçons et filles sont différents, ne serait-ce que physiquement ! Mais la politique du «fais pas ci fais pas ça» ne produit que le résultat inverse ; interdire c’est provoquer. Si déjà on inculque aux enfants le respect de l’autre, c’est la base et il faut commencer par cela, le respect de la différence et l’obligation de ne pas se moquer d’autrui parce qu’il est par exemple plus petit ou plus gros, comme le font souvent les enfants.
Voir également le site de l’association Avocats Femmes Violences.
Merci à l’association Avocats Femmes Violences pour les photographies et illustrations de cet article.
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