Depuis novembre dernier, Paris se tait.
Les manifestations qui rythment la vie de la capitale ont pris fin le vendredi 13 novembre 2015 au soir, lorsque le Gouvernement a décrété l’état d’urgence dans la foulée des attentats terroristes à Paris, notamment au Bataclan, et aux abords du Stade de France, attentats revendiqués par Daesh, l’ «État islamique» qui sévit depuis l’été 2014 en Irak et en Syrie.
Le temps passant, la Préfecture de Police a fini par autoriser certains rassemblements, mais statiques, les défilés demeurant absents du paysage parisien, et en faveur de causes bien définies.
C’est le cas des rassemblements du samedi des représentants en région parisienne de la révolution syrienne, cause concernée au premier plan par les méfaits de Daesh puisque la représentation militaire de cette révolution, l’Armée syrienne libre, combat tant les troupes du régime de Bachar el-Assad que Daesh, seule et sans aucun soutien de la communauté internationale qui ne cesse de dénoncer le monstre politico-militaire qu’est Daesh mais se garde bien de venir en aide à qui lui tient tête.
Ce mardi 5 janvier à 18H00, alors que la France s’apprête à commémorer les attentats au journal Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, puis le lendemain contre une policière municipale à Montrouge et, enfin, à l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes à Paris le 9, les Syriens libres de Paris et leurs amis se sont ainsi retrouvés, avec l’autorisation de la Préfecture de Police, Place de la République afin d’y rendre hommage, triste ironie à l’approche de l’anniversaire d’un attentat contre la presse, à un journaliste assassiné.
Il était syrien, il se nommait Naji al-Jerf, et depuis 2011, il était actif au sein de la révolution syrienne, ayant dispensé des formations tant à l’activité d’information du public qu’aux secours aux personnes vulnérables en zone de combat. Il venait de diriger une campagne de sensibilisation aux atteintes aux Droits de l’Homme commises par Daesh à Raqqa, ville de Syrie dont le «califat» a fait sa «capitale». Le 27 décembre 2015, Naji al-Jerf, qui s’apprêtait à rejoindre la France, fut assassiné à Gaziantep, ville du sud de la Turquie qui abrite le quartier général de l’opposition syrienne et où se tiennent également de nombreux réfugiés du conflit armé dans le pays.
A lui seul, il incarnait le combat de son peuple. Mais pour autant, avec sa mort, ce combat ne prend pas fin.
C’est ce que sont venus réaffirmer les quelques deux cents personnes qui se sont rassemblées au Monument à la République, sur une place battue par un vent froid, comme un rappel de la tragédie qui a frappé Paris voilà presque un an jour pour jour.
Un message du Centre syrien pour les Médias et la Liberté d’Expression a été lu, dans lequel l’organisme demande aux autorités turques d’assurer autrement mieux la protection des journalistes syriens sur son territoire, elles qui savent toutes les menaces contre ces derniers mais ne prennent aucune mesure pour les en protéger.
Christophe Deloire, Secrétaire général de Reporters Sans Frontières, a rappelé la mobilisation spontanée sur cette même Place de la République dans les heures qui avaient suivi l’attentat de Charlie Hebdo. Aujourd’hui, «c’est pour un autre Charlie que nous sommes rassemblés», a-t-il ajouté, exhortant les diplomaties des États membres de l’ONU à ne pas se borner au langage formel des résolutions du Conseil de Sécurité mais à agir réellement pour la protection des journalistes, qu’ils soient professionnels ou citoyens, qui se mettent en danger pour apporter au monde la réalité du conflit en Syrie. «Que les résolutions de l’ONU cessent d’être seulement, sans mauvais jeu de mots, de ‘bonnes résolutions’ !»
Après une minute de silence à la mémoire de Naji al-Jerf et des autres journalistes syriens assassinés dans leur exil, Fadi Dayoub, Président de l’Association de Soutien au Peuple Syrien, a pris la parole.
En Turquie, pays pourtant réputé allié de la révolution syrienne, il est de plus en plus difficile pour les Syriens de trouver asile, et quand bien même ils y parviennent, leur liberté de mouvement se voit sans cesse amoindrie. A présent, s’ajoutent à cela les assassinats de militants et de journalistes syriens, comme le démontre le sort tragique de Naji al-Jerf.
Si les Syriens ont quitté leur pays, c’est parce que les attaques meurtrières du régime de Damas les y ont forcés. Et malgré cela, ils se voient aujourd’hui traités en indésirables, littéralement jusqu’à la mort ! A tel point que, désormais, à Gaziantep, les Syriens qui y ont trouvé refuge vivent à chaque instant dans la même peur que dans la Syrie qu’ils ont fuie, jusqu’à n’oser plus se déplacer seuls.
Le Président truc Reçep Tayyip Erdogan, a souligné Fadi Dayoub, «n’a jamais voulu employer le terme ‘réfugiés’ pour désigner les Syriens, ayant toujours parlé d’ ‘invités’ ; si nous sommes les invités des Turcs, ceux-ci devraient prendre soin de nous !». Ce n’est nettement pas le cas lorsque l’on laisse se faire assassiner, en plein jour, un homme qui n’avait jamais usé de terrorisme mais n’a fait que porter légitimement la parole de la révolution syrienne, celle de personnes pacifistes et engagées qui croient en des valeurs universelles.
Face à cela, que faire ? Oui, venir à un rassemblement comme celui-ci, bien sûr. Mais cela ne suffit pas. Simplement prendre une feuille de papier et un crayon et écrire au Ministère français des Affaires Etrangères ne serait-ce que quelques lignes, en lui disant que cette situation n’est pas acceptable et que, si l’on a soutenu Charlie Hebdo voici un an, l’on peut et l’on doit en faire autant pour les réfugiés syriens en Turquie. «Faites un acte un peu plus fort que juste d’être là.»
Puis le rassemblement s’est clos sur la lecture d’un poème en arabe dédié aux martyrs, œuvre d’un poète syro-palestinien.
D’une position «Ni Bachar ni Daesh» certes timidement exprimée et plusieurs fois remise en cause par le Ministre des Affaires Étrangères, Laurent Fabius, mais qui faisait son honneur parmi des Washington, Londres, Canberra et autres venant tour à tour s’aligner sur Moscou en admettant Bachar el-Assad à participer à une solution politique en Syrie, une France traumatisée par des attentats dont elle savait pourtant depuis plusieurs mois qu’ils risquaient de se produire a basculé à son tour dans le camp du «Plutôt Bachar que Daesh», même si, là encore, cette position nouvelle a été elle aussi plusieurs fois contredite par le Quai d’Orsay.
Déjà peu lisible avant le 13 novembre, la diplomatie française paraît depuis lors engourdie, comme en état de choc. Mais une chose est sûre : de toute volte-face de Paris dans ce cadre, un même camp sort toujours perdant – la révolution syrienne, désormais lâchée par ce qui, en Occident, se rapprochait le plus pour elle d’un allié.
A tout le moins, les autorités françaises lui conservent le droit à la parole, l’ayant même relevée pour ce faire de l’état d’urgence. Et cette liberté dont elle continue de jouir ici à Paris, la révolution syrienne ne s’est pas privée d’en faire usage pour rendre à l’un de ses martyrs l’hommage de rigueur, non en faisant son deuil d’un espoir perdu mais en affirmant et confirmant qu’une voix que l’on fait taire est bien souvent celle dont la parole s’avère la plus forte, étant pour ceux qu’elle vise la plus dérangeante.
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