En Arabie saoudite, à tout moment, Raif Badawi risque d’être flagellé à mort pour un blog. C’est parce qu’il a créé ce blog indépendant du pouvoir, où il demandait plus de liberté et la fin de l’oppression religieuse constante du wahhabisme, qu’il a été condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet à raison de cinquante par semaine, en place publique après la prière du vendredi, qui pourraient bien faire de sa cellule sa dernière demeure d’être vivant.
Comme les rédacteurs et dessinateurs de Charlie Hebdo en janvier dernier à Paris et comme le Musée du Bardo à Tunis au mois de mars, Raïf Badawi est visé par le fanatisme religieux, sauf que celui-ci vient d’un pouvoir étatique là où, dans les deux premiers cas, il était charrié par le terrorisme. Mais pour le blogueur, aucune capitale au monde n’a vu un million de personnes manifester leur soutien sur des grandes artères noires de monde, gouvernants venus de toute la planète en tête. La raison d’État triomphe.
En tout cas, elle était sans pouvoir lorsqu’Ensaf Haidar, l’épouse de Raïf Badawi, réfugiée depuis 2013 au Québec avec les trois enfants du couple, est venue au Secrétariat national d’Amnesty International France ce vendredi 29 mai au soir, où l’attendait un public dense autant qu’impatient de la voir revenir du Ministère des Affaires Étrangères où elle venait d’être reçue avec une délégation de l’organisation.
A son arrivée, peu remarquée car son visage n’est pas encore très familier, quelques femmes qui l’avaient reconnue furent surprises par sa petite taille et émues par son air presque intimidé de voir autant de gens rassemblés pour elle. «On dirait un petit chat», dit l’une d’elles d’un ton attendri. Et certes, aussitôt montée sur l’estrade avec Geneviève Garrigos, Présidente d’Amnesty International France, et les autres intervenants, il ne fallut pas longtemps à Ensaf pour attirer tous les regards puis, après que Geneviève Garrigos l’a présentée, les applaudissements chaleureux de toute la salle.
A travers l’Europe pour son mari
La Présidente d’Amnesty International France a rappelé que la visite d’Ensaf était en fait la conclusion d’une tournée qu’elle avait entreprise en Europe, ayant commencé par la Norvège pour aller ensuite en Suède puis aux Pays-Bas et devant la Commission européenne. pour attirer l’attention des gouvernants et de la société civile sur le sort de son époux et obtenir le soutien le plus vaste possible à sa cause.
Au-delà du cas précis de son époux, c’est sur la situation des Droits de l’Homme en Arabie saoudite dans son ensemble, particulièrement de la liberté d’expression, qu’Ensaf a tenu à éveiller les consciences. Pour l’y aider, les Éditions Kero ont publié avec Amnesty International un ouvrage intitulé 1000 Coups de Fouet, qui reprend en français les textes pour lesquels Raïf Badawi a été condamné.
Si Amnesty International a commencé son travail sur le cas de Raïf Badawi en 2012, la mobilisation internationale actuelle date du 9 janvier dernier, lorsqu’a débuté une campagne très forte bénéficiant d’une mobilisation sans précédent. En quelques semaines, la pétition d’Amnesty International en soutien à Raïf a recueilli plus de 1 400 000 signatures à travers le monde, dont 140 000 en France.
Pour bien comprendre cette situation, il faut revenir aux fondamentaux. Qu’est-ce que l’Arabie saoudite ? Pourquoi ce pays, qui commet des violations massives des Droits de l’Homme – ayant procédé encore dans le courant de la semaine à une quatre-vingt-dixième exécution depuis le début de l’année, ce qui fait de lui l’un des trois plus gros exécuteurs au monde avec la Chine et l’Iran – et où les prisonniers d’opinion demeurent aussi nombreux que la liberté d’expression reste désespérément inexistante, à quoi s’ajoute la torture qui est là-bas pratique courante, bénéficie-t-il d’un tel silence de la part de la communauté internationale ?
Pour répondre à ces questions, a poursuivi Geneviève Garrigos, Amnesty International accueille ce soir aux côtés d’Ensaf deux invités, Philippe Mischkowsky, responsable des pays du Golfe à Courrier International, et May Romanos, Chargée de Campagne Arabie saoudite à Amnesty International qui a accompagné Ensaf dans sa tournée. Un interprète a également pris place aux côtés d’Ensaf qui, bien qu’étudiant le français à Sherbrooke, la ville québécoise où elle s’est établie, ne le maîtrise pas encore suffisamment pour pouvoir s’adresser à l’assistance sans une aide linguistique.
Chaque intervenant aura un temps limité, conclut Geneviève Garrigos, de manière à ce que le maximum de temps soit préservé pour permettre un échange avec la salle.
Philippe Mischkowsky : Quand la religion se fait oppression
Pour Philippe Mischkowsky, le problème majeur concernant l’Arabie saoudite, c’est que l’on en parle beaucoup mais que l’on en sait peu sur elle. Il est donc important de connaître et de comprendre les fondamentaux de ce pays.
L’Arabie saoudite est née en 1744, d’un pacte entre Mohammed Ibn Saoud et le religieux salafiste Mohammed Ibn Abdelwahhab, dont le nom est à l’origine du courant de l’Islam conservateur portant le nom de wahhabisme. Mais l’État actuel date de 1932, fondé par Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud, dit Ibn Saoud, qui en devint le roi et au sein duquel la famille ash-Skaykh, descendante d’Abdelwahhab, s’est vue attribuer la responsabilité des affaires religieuses par le souverain du royaume nouvellement créé.
Il faut bien comprendre deux choses à cet égard :
D’une part, l’Arabie saoudite est un pays qui a été formé dans la violence par une conquête militaire, comme d’ailleurs l’ensemble des pays du Golfe et de la Péninsule arabique, à l’exception notable du Koweït. Cela explique que la famille régnante des Al-Saoud le considère comme sa propriété exclusive et lui impose sa monarchie absolue.
D’autre part, dans le wahhabisme, les ouléma, théologiens sunnites qui sont l’équivalent des mollahs dans le chiisme, ont tout pouvoir pour dire ce qui est religieusement acceptable et ce qui ne l’est pas. Ils exercent ce pouvoir absolu à travers un organisme d’État dénommé le Comité pour la Promotion de la Vertu et la Prévention du Vice, qui est la police religieuse du pays.
Dans le système judiciaire saoudien, c’est le Comité qui dicte la rectitude religieuse à mettre en pratique, s’appuyant en cela sur les textes religieux de l’Islam. La prétendue indépendance de la justice saoudienne n’est donc qu’une pure fiction, le régime pouvant faire plier celle-ci à son gré ; ce fut le cas par exemple en 1990, lorsque l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein et la peur de l’Arabie saoudite de subir bientôt le même sort avait abouti à l’arrivée de troupes occidentales, donc chrétiennes, sur son sol, le roi Fahd ayant tout simplement demandé qu’il soit édicté une fatwa le permettant et c’est ce que fit le Comité.
Outre son rôle de préservation de la rigidité religieuse du régime, le Comité permet non sans ironie à la monarchie saoudienne de se dédouaner de sa politique répressive, se présentant comme un «moindre mal» par rapport à une société dirigée par les seuls religieux, qui serait alors fondamentalement rétrograde. Sans surprise, entre ces ouléma et les libéraux tels que Raïf Badawi, les polémiques s’avèrent toujours violentes et finissent systématiquement mal pour les seconds, qu’elles conduisent en prison.
Sur le plan international, le régime islamique que voit le monde en l’Arabie saoudite n’est, lui aussi, guère plus qu’une fiction, un instrument du soft power que déploie le pays pour renforcer sa diplomatie.
L’influence qu’exerce l’Arabie saoudite à travers des organisations internationales, telles que l’Organisation de la Conférence islamique, repose non dans une moindre mesure sur le titre de «Gardien des Deux Lieux Saints», en l’occurrence La Mecque et Médine, que se donne le monarque. Sur la seule foi de cette appellation, le Pakistan, puissance militaire régionale en Asie, a ainsi affirmé que s’il ne voulait pas pour l’heure prendre position dans le conflit déclenché par l’Arabie saoudite au Yémen, il interviendrait toutefois si le pays du «Gardien des Deux Lieux Saints» devait être attaqué ou mis en danger d’une quelconque autre manière.
Le royaume wahhabite se veut aussi le tenant d’un universalisme alternatif, dont un exemple marquant est la promotion de l’heure de La Mecque comme référence internationale, de préférence à l’heure universelle de Greenwich (Greenwich Mean Time, GMT), certaines chaînes de télévision ayant déjà commencé à annoncer leurs programmes selon cette heure de La Mecque et non plus l’heure GMT.
Riyad se veut enfin le promoteur d’une Charte universelle islamique des Droits de l’Homme, par opposition à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et aux autres textes internationaux en vigueur dans ce domaine.
Par cette diplomatie des plus actives, estime le journaliste, l’Arabie saoudite rappelle la France et son désir de leadership à l’intérieur de la Francophonie.
Depuis le début des révolutions arabes, l’Arabie saoudite se montre très hostile aux Frères musulmans, tels qu’ils se sont manifestés à l’issue des soulèvements populaires de Tunisie et d’Égypte notamment ; dans ce second pays, Riyad s’était notamment montré hostile de bout en bout à la présidence de l’islamiste Mohammed Morsi.
Elle-même ébranlée, même de manière moins visible, par le «printemps arabe», l’Arabie saoudite s’était sentie obligée de débloquer 130 milliards de dollars pour des secteurs comme le logement et les salaires, espérant ainsi éviter des manifestations sur son territoire. Dans le même temps, le régime procéda à la confessionnalisation du débat, imputant les discours exigeant des réformes à la minorité chiite de l’est du pays, déjà victime de discriminations systématiques. En cela, l’Arabie saoudite porte une responsabilité importante dans le climat régional aujourd’hui, du Yémen à la Syrie.
Beaucoup craignaient des problèmes lors de la succession dynastique de janvier dernier, qui vit le Prince héritier Salmane succéder au défunt roi Abdallah. Jusqu’à présent, les rois d’Arabie saoudite ont été exclusivement les fils d’Ibn Saoud, et puisque le roi Salmane est le dernier d’entre eux encore en vie, le nouveau Prince héritier appartient déjà à ce qui sera la «nouvelle génération» non issue directement du premier roi. En tout état de cause, il faut reconnaître à Riyad une très bonne gestion de cette transition.
Et certes, à l’intérieur des frontières comme au-delà, accuser les Chiites semble être une méthode de prédilection des autorités saoudiennes. Dans le conflit armé au Yémen, Riyad décrit les Houthis, rebelles chiites contre le gouvernement de ce pays, comme étant une «cinquième colonne» chiite au service de l’Iran, son grand rival dans la région. Cette technique du bouc-émissaire a fait mouche en termes de popularité de la monarchie, car l’opinion publique demandait une réaction forte par rapport à un Iran jugé agressif.
Dans le même temps, l’Arabie saoudite se présente comme combattant Daesh en Irak et en Syrie, mais dans ses propres frontières, elle se montre encore plus fondamentaliste que le groupe terroriste.
Enfin, pour ce qui est de l’application de la peine de mort qui est l’un de ses traits les plus célèbres, l’Arabie saoudite s’y livre sans s’en cacher, sans complexe, ayant même récemment émis une offre publique d’emploi au niveau mondial pour … des bourreaux. Là où auparavant, l’on pouvait s’attendre à voir intervenir des réformes, la justice a désormais pour instruction d’appliquer la Charia sans concession.
May Romanos : Les Droits de l’Homme, ennemis d’État
May Romanos a pris la parole pour évoquer la situation des Droits de l’Homme en Arabie saoudite, et en la matière, la Chargée de campagne a été directe – le bilan du pays est abominable.
Depuis 2012 et la répression de toute tentative d’émulation des révolutions arabes, la répression des Défenseurs des Droits de l’Homme, en particulier, n’y a jamais été aussi forte.
Ceux-ci s’y voient condamnés, du seul fait de leur activité, à de longues peines de prison, et c’est encore plus vrai depuis l’adoption en 2014 d’une loi dite antiterroriste mais qui criminalise en réalité toute tentative de contestation politique ou d’action quelconque au sein de la société civile. Aussi scandaleux que cela puisse paraître, le fait même de communiquer avec Amnesty International est désormais considéré comme étant un acte terroriste !
Tout cela dans un contexte général d’absence de démocratie et d’élections, tous les pouvoirs étant entre les mains du roi et toute tentative de réclamer le changement menant son auteur derrière les barreaux.
Au nom de cet «antiterrorisme» dévoyé de sa tâche, des centaines de Chiites ont été arrêtés et deux d’entre eux condamnés à mort. Quant aux organisations non-gouvernementales, de taille limitée, qui ont réussi à se créer dans le pays, telles que l’ACPRA (Saudi Civil and Political Rights Association), tous ses membres sont aujourd’hui derrière les barreaux, elles aussi étant jugées «terroristes».
Le régime saoudien sait très bien jouer sur les peurs de l’Occident, celles de Daesh et du terrorisme. Cela lui permet de qualifier désormais tout Défenseur des Droits de l’Homme de «terroriste», de même que par exemple tout athée, la référence vague au «terrorisme» pouvant être utilisée contre tout et n’importe quoi dans le pays.
Aujourd’hui, toutes les figures crédibles du changement sont en prison, celles qui ne le sont pas encore se terrant dans le silence. Sur Facebook, Twitter et d’autres réseaux sociaux, il est plus que probable qu’une «armée électronique» de la monarchie soit à l’œuvre pour surveiller l’activité des militants, ceux-ci se voyant rapidement interpellés après leurs publications puis forcés à signer un «engagement» à ne plus publier contre le régime et à fermer leurs comptes sur les réseaux sociaux.
Pour ce qui est de la peine de mort, l’Arabie saoudite a récemment exécuté son quatre-vingt-dixième prisonnier pour cette année, et puisqu’il reste sept mois avant que celle-ci ne se termine, qui sait si le chiffre final ne sera pas de deux cents ? D’autant que la peine capitale n’est pas prononcée seulement pour ce que le droit international considère comme des «crimes graves», de simples délits comme le trafic de drogue en étant passibles aussi.
Quand bien même, le système judiciaire est opaque et un avocat ne peut en aucun cas espérer jouer un rôle normal de défense de son client : un procès dure cinq minutes en tout et la sentence est décidée à l’avance. Lorsqu’une condamnation à mort est prononcée, la peine est exécutée rapidement.
En février dernier, un décret de la Cour suprême saoudienne, référence juridique souveraine dans un pays dénué de code pénal, a laissé l’application de la peine de mort à la seule discrétion du juge dans l’ensemble des cas, même lorsque le prévenu ne comparaît que sur une simple «suspicion» de trafic de drogue sans preuve en ce sens.
En ce qui concerne les droits des femmes, l’Arabie saoudite maintient en droit et en fait une discrimination de genre, non dans une moindre mesure à travers un système de tutelle interdisant à une femme tout acte de la vie civile sans l’accord, voire la présence, d’un parent masculin. En 2011 a eu lieu la première grande campagne pour le droit des femmes de conduire des voitures, qui leur est refusé en vertu d’une fatwa ; comme toutes les autres, cette campagne a été forcée de s’interrompre, et ses initiateurs, à signer des «engagements» à ne pas y revenir. Emprisonnées, fouettées, menacées, les femmes qui y prenaient part n’ont pas eu le choix : contraintes et forcées, elles se sont tues.
Également soumis à la discrimination, les Chiites font face à une haine provoquée par les autorités, se voyant ainsi réduits à une condition de Saoudiens de seconde zone.
En un mot, l’avenir des Droits de l’Homme en Arabie saoudite ne s’annonce pas brillant, tout pronostic en la matière ne pouvant être que négatif. Plus que jamais encore, il faut écouter les militants saoudiens des Droits de l’Homme, être attentif à ce qu’ils ont à dire et ne jamais les laisser tomber dans l’oubli.
1000 Coups de Fouet : Pour que les mots de Raïf Badawi vivent et demeurent libres
Geneviève Garrigos a présenté une nouvelle fois l’ouvrage 1000 Coups de Fouet, dont les ventes sont intégralement reversées à un fonds de défense de Raïf Badawi.
Philippe Robinet, Directeur Général des Editions Kero qui ont publié l’ouvrage, a ajouté que, lorsqu’un éditeur apprend qu’un auteur a été condamné quelque part dans le monde pour de telles raisons, il est normal que sa maison d’édition mette son savoir-faire et ses moyens techniques au service de l’esprit et de sa liberté.
L’idée extraordinaire de réunir des textes de Raïf Badawi est venue en premier lieu d’un éditeur allemand. Ces textes n’existaient plus, ils étaient devenus introuvables, et il a donc été décidé de les remettre à la disposition du public, afin que chacun(e) puisse les lire et que l’Arabie saoudite ne gagne pas sa bataille contre Raïf Badawi.
La préface de cette compilation de textes traduits de l’arabe est signée d’Ensaf, qui a ainsi rédigé un véritable cri d’amour à son mari. Les produits de la vente du livre vont en effet à la cause de Raïf, tous les éditeurs du livre à travers le monde s’étant réunis pour cela.
Philippe Robinet a enfin remercié Amnesty International pour son soutien, en particulier pour l’accueil magnifique que les équipes de l’organisation ont réservé à ce projet.
L’éditeur a conclu en se réjouissant de voir que ce soir, «nous sommes tous des terroristes», selon la définition maladivement répressive que confère à ce terme l’Arabie saoudite !
Ensaf Haidar : Le combat d’une femme libre pour l’homme qu’elle aime
Prenant enfin la parole, en arabe puis en français à travers son interprète, Ensaf a remercié les personnes présentes d’être venues si nombreuses pour entendre l’histoire de son mari, Raïf Badawi.
Ensaf Haidar et son interprète (à gauche)
Toute l’histoire a commencé en 2006, lorsque Raïf Badawi a créé un site Internet dont le but était de parler des droits des femmes, des Droits de l’Homme de manière générale, et d’engager toutes et tous dans un libre débat.
En 2008, la situation a commencé à se dégrader. Raïf Badawi s’est vu interdire de voyager à l’étranger, les comptes bancaires du couple ont été bloqués et la famille a dû changer de domicile à plusieurs reprises. Raïf Badawi a commencé à subir en permanence des menaces, ce qui a fait de la vie de la famille une épreuve.
En 2011, un alem (singulier du mot ouléma) extrémiste a pris une fatwa contre Raïf Badawi, qui n’en a donc été que plus encore menacé, tant dans la rue partout où il allait que sur des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter et à tout instant dans sa vie quotidienne.
C’est alors qu’il a proposé à Ensaf de quitter le pays, la situation étant devenue intenable pour elle-même et leurs enfants. Tous les trois sont donc partis, d’abord pour l’Egypte puis vers le Liban.
Depuis cette époque, Raïf Badawi a subi trois procès, le dernier étant celui où il s’est vu infliger les dix ans de prison et les mille coups de fouet pour son blog, ainsi qu’une amende d’un million de riyals (239 000 €). Un autre procès doit s’ouvrir prochainement pour apostasie, Raïf Badawi étant accusé d’avoir renié la religion musulmane, ce qui est en Arabie saoudite un délit, qui plus est punissable de mort.
Ensaf elle-même a reçu des menaces de son beau-père, à savoir le père de Raïf lui-même. C’est ce qui l’a poussée à demander l’asile au Canada, qui l’a acceptée et elle y vit depuis lors.
«Le choc le plus important que j’aie reçu, c’est lorsque l’on a infligé à Raïf cinquante coups de fouet, en place publique, après la prière du vendredi. Tout cela parce qu’un jour, il a pris un stylo et écrit différemment du régime, il a demandé que l’on parle des droits des femmes, des Droits de l’Homme en général, en Arabie saoudite.»
Ensaf a enfin remercié l’assistance de son attention, remerciement auquel il fut répondu par de longs et chaleureux applaudissements.
Questions du public : Des idées variées mais un même soutien
La voix entravée par une émotion manifeste, Geneviève Garrigos a ouvert la dernière partie de la soirée, celle des questions du public.
Soit le champ de la réflexion se voyait élargi à la politique internationale, avec l’évocation de la diplomatie saoudienne ainsi que de l’attitude du Ministère français des Affaires Étrangères lui-même, soit il s’agissait de savoir s’il existait en Arabie saoudite des médias libres et/ou des mouvements de soutien à Raïf Badawi – qui se voyait décrit tour à tour par les uns comme «un cas comme les autres» dans le pays ou, tout au contraire, un «cas singulier, car c’est un réformiste», voire un «exemple important» de l’évolution de la société saoudienne dans un sens toujours plus répressif. Et bien sûr, une préoccupation constante et unanime : comment aider et soutenir concrètement Raïf Badawi ?
Des questions variées, dont la provenance dépassait de loin le seul cadre de l’effectif d’Amnesty International, mais qui avaient toutes en commun la bienveillance envers Ensaf et le désir de soutenir son mari.
Clôturant la rencontre et remerciant à son tour le public, ainsi que les différents intervenants venus épauler Ensaf et l’équipe d’organisation, Geneviève Garrigos a voulu laisser le dernier mot à Raïf Badawi lui-même en lisant un court passage de 1000 Coups de Fouet dans lequel le blogueur expose sa vision du libéralisme, qu’il défend et que réprouve la monarchie wahhabite au point de vouloir son sang, si ce n’est sa mort :
«Dans les sociétés libres où cohabitent toutes les approches intellectuelles, chaque courant intellectuel peut exposer et diffuser ses idées. Les gens peuvent choisir parmi ses approches et ces opinions celles auxquelles ils veulent adhérer. Mais imposer au public une approche intellectuelle unique, une pensée unique, et une idée dominante qui dénigre sans cesse les autres et clame qu’elle est seule détentrice de vérité, puis prétendre que c’est le public qui rejette le libéralisme, c’est inacceptable. Laissons donc tout le monde entrer en scène, et nous verrons alors ce que choisiront les gens.»
Et pour dire au revoir et merci à Ensaf, la salle lui offrit d’un unanime élan une standing ovation. Ensaf, «équité» en arabe, femme de petite taille qui paraît si frêle, mais qui, et nul(le) ne pouvait plus en douter qui l’avait entendue s’exprimer lors de cette soirée, a tout de ce que l’on appelle une grande dame et offre à toutes et tous, comme son époux Raïf Badawi, un exemple vivant de courage et de dignité.
Pour Ensaf, femme libre, femme amoureuse, cette équité que symbolise son nom se traduira un jour, ainsi que pour l’homme qu’elle aime et qu’elle consacre aujourd’hui sa vie à défendre, par la victoire.
Recent Comments