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Au Sénat, les avocats défendent le droit d’asile

En France, le droit d’asile est-il soluble dans la crise, qu’elle soit économique et sociale, ne cessant de s’aggraver, ou morale depuis l’attentat à Charlie Hebdo, dans ce pays se découvrant au fil des mois beaucoup moins libertaire et plus islamophobe qu’il le pensait en battant le pavé parisien le 11 janvier ?

C’est à cette question que devront répondre les sénateurs, qui ont entre leurs mains depuis la semaine passée le projet de loi sur la réforme du droit d’asile voulu par le Gouvernement et adopté par l’Assemblée. Restreignant encore des lois déjà peu favorables aux demandeurs d’asile, le projet s’est finalement vu durci plus avant par un Sénat reconquis l’an dernier par l’opposition de droite.

A cette question, les avocats, eux, répondent non – en tout cas ceux d’ELENA France, la section française de l’European Legal Network on Asylum (ELENA), Réseau juridique européen pour l’Asile. Ayant revêtu leurs robes noires, les membres du réseau ont investi ce lundi 18 mai à midi le square faisant face à l’entrée principale de la Haute Assemblée, rue de Vaugirard à Paris, pour une manifestation silencieuse. Silencieuse, mais pas inerte.

Avec le calicot d’ELENA France en évidence sur les barrières de police qui cantonnaient le rassemblement, les avocats ont brandi devant le Sénat des pancartes affichant les slogans «Procédure accélérée = Procédure bâclée» et «Juge unique = Juge inique». Aucun doute, chez ces professionnels du droit d’asile, les préconisations en la matière tant du gouvernement socialiste que des sénateurs de droite ne passent pas. C’est bien là le plus inquiétant.

Cent vingt jours pour une vie ?

Sous la nouvelle loi, un demandeur d’asile arrivant en France devrait soumettre son dossier, par le biais de la préfecture de son lieu de séjour, à l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) sous cent vingt jours, délai dérisoire lorsque l’on sait le manque d’information des demandeurs sur leurs droits, et surtout, à quel point les services préfectoraux traitent bien souvent les demandes d’asile à reculons.

Sous ce délai, le demandeur devra fournir, à l’appui de son dossier, des documents d’identité qu’il aura préalablement faits traduire par un professionnel assermenté, avec toute l’attente que cela implique et à des coûts souvent exorbitants pour des demandeurs auxquels il n’est guère permis que de survivre.

Le demandeur d’asile, présumé coupable ?

Mais le plus choquant des aspects de ce projet est incontestablement l’instauration, en cas de rejet par l’OFPRA de la demande, comme c’est le cas près de 80% du temps, donc de recours devant la Cour nationale du Droit d’Asile (CNDA), juridiction judiciaire indépendante devant laquelle il est possible d’être représenté par un avocat, parmi lesquels les membres d’ELENA France, d’une «procédure accélérée» voyant statuer, sous cinq semaines au lieu de cinq mois aujourd’hui, un juge unique.

«Cette procédure aboutira à ce que les demandeurs d’asile ne soient plus jugés, comme aujourd’hui, par une juridiction collégiale de trois personnes – un Président de la Cour, un assesseur désigné par le Conseil d’Etat et un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, mais un juge unique, ce qui, bien entendu, emporte des garanties d’objectivité tout à fait réduites», précise Maître Erika Koenig, du Barreau de Paris, membre d’ELENA France. «C’est là ce qui, peut-être, nous inquiète le plus dans ce projet de loi.»

Migrants et demandeurs d’asile : Un amalgame volontaire ?

Tout cela sur fond de réactions des différents gouvernements de l’Union européenne à l’annonce de la Commission de souhaiter instaurer des quotas de réfugiés à accueillir pour chaque Etat membre, en fonction de son Produit Intérieur Brut, sa population, son taux de chômage ainsi que du nombre de demandes d’asile déjà existantes. Par la voix du Premier Ministre, Manuel Valls, la France s’est dite hostile à ce qu’elle a appelé des «quotas de migrants», ce qui a suscité l’indignation à Rome, particulièrement celle du Président du Conseil des Ministres italien Matteo Renzi, auquel la paternité de la proposition de la Commission européenne est très largement attribuée. Comme si, auprès de l’opinion publique en France, tout était fait pour entretenir la psychose. Et là, Maître Koenig s’insurge.

«On parle beaucoup des migrants, nous, nous parlons des demandeurs d’asile. Il y a un amalgame – peut-être volontaire – entre immigration et droit d’asile. Il ne faut pas confondre des immigrants qui viennent ici pour trouver une vie meilleure et des gens qui fuient un pays en guerre ou des persécutions pour leurs opinions politiques ou religieuses, ou leur orientation sexuelle. Il faut vraiment faire la part des choses.»

Pour les avocats, mission impossible ?

Quand bien même l’on saurait éviter les clichés qui sous-tendent des politiques répressives et dissuasives, reste la question même qu’étaient venus poser les membres d’ELENA France sous les fenêtres du Sénat : sous une telle nouvelle loi, que pourrait et devrait faire un avocat chargé de la défense d’un demandeur d’asile ? Convaincre un magistrat, qui plus est seul à siéger, est loin d’être aussi aisé que de convaincre un électeur, ce dernier ne demandant qu’à entendre ce qui lui plaît là où, tout au contraire, le premier n’aura envie d’entendre d’un demandeur retoqué par l’OFPRA que ce qui ne lui plaît pas.

Pour Maître Koenig, ce qui fera le plus mal, c’est la réduction drastique des délais impartis aux candidats au recours devant la CNDA. «Quand un demandeur d’asile vient vous voir avec une décision de rejet, que nous devons donc rédiger un recours, rassembler des pièces, faire des recherches de jurisprudence et de géopolitique, plus le délai est court, moins il nous est possible de préparer un dossier de façon sérieuse. C’est pourquoi, quand je parle de procédure accélérée, je veux bien dire une procédure bâclée. Par exemple, lorsqu’un étranger détient des documents dans sa langue d’origine, il doit faire traduire ces documents par des interprètes assermentés, et le temps perdu pour obtenir ces documents est un élément de plus pour aboutir à un rejet.»

Tant et si bien que c’est l’idée même de droit d’asile en France qui, estime Maître Koenig, se voit remise en cause. «On a aujourd’hui un taux de 20% de réussite des demandes d’asile, et avec une telle loi, ces 20% pourraient se transformer en 10%, voire 5%. Je me montre peut-être pessimiste, mais il faut bien le dire, la situation deviendrait dramatique. C’est à tel point que l’une de mes consœurs me disait récemment au sujet de ce projet de loi : ‘C’est la fin du droit d’asile’.»

Mobiliser le Barreau de Paris, l’espoir d’ELENA France

La mobilisation d’ELENA France n’est donc que très logique. Venant d’avocats, cependant, il serait préférable, et bien plus logique, de voir le Barreau lui-même se mobiliser, tout comme il l’avait fait contre la Loi Renseignement avant qu’elle ne soit malgré tout adoptée. Le Bâtonnier de Paris, Maître Pierre-Olivier Sur, n’avait pas manqué de donner de la voix contre ce projet de loi qu’il n’avait pas hésité à qualifier de «mensonge d’Etat».

Une mobilisation de même ampleur du Barreau de Paris serait-elle souhaitable contre le projet de loi sur la réforme du droit d’asile ? «Bien sûr», répond sans détour Maître Koenig. «Maintenant, il faut savoir qu’il existe des contingences au niveau de l’organisation des barreaux. Celui de Paris se réunit aujourd’hui, je crois, pour examiner une motion à propos de ce mouvement. Nous attendons donc les suites de cette motion, mais bien entendu, nous souhaiterions que, comme l’a fait Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Seine-Saint-Denis, Monsieur le Bâtonnier de Paris se mobilise auprès de nous pour porter, justement, nos revendications et nos inquiétudes.»

Ainsi ont plaidé les avocats du droit d’asile, avec la rue pour prétoire et des barrières de police en guise de barre. On attend maintenant le délibéré du Sénat …  Et le bon, de préférence.

One comment on “Au Sénat, les avocats défendent le droit d’asile

  1. My Global Suburbia
    09/06/2016

    Reblogged this on Droit est toujours raison.

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This entry was posted on 23/05/2015 by in Avocats, Réfugiés et droit d'asile.

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