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Amnesty donne une voix aux prisonniers du silence en Arabie saoudite

En janvier dernier, alors que le monde se remettait à peine du traumatisme causé par l’attentat meurtrier au journal Charlie Hebdo à Paris, une «affaire étrangère» est venue s’abattre sur des consciences déjà exsangues, montrant combien la liberté d’expression est une notion fragile et le respect dû à la religion une idée radicalement différente selon que ladite religion est minoritaire ou, au contraire, au cœur de l’État.

C’était en Arabie saoudite, royaume pétrolier régi par un Islam sunnite rigoriste, rival de l’Iran également pétrolier, lui aussi dirigé par un Islam rigoriste mais sous la forme d’une république chiite, dans la course au leadership du Moyen-Orient. C’était l’affaire d’un blogueur, un jeune père de famille de trente et un ans, qui a écrit sur Internet qu’il voulait dans le royaume wahhabite plus de libertés et des règles religieuses moins strictes. Rien que pour cela, ce blogueur a été condamné à dix ans de prison et, surtout, mille coups de fouet, qu’il doit recevoir en vingt séances hebdomadaires de flagellation publique le vendredi, jour de prière.

Il s’appelle Raïf Badawi, et sa situation est l’entier inverse de celle de Charlie Hebdo, journal athée dans un pays laïc qui a été attaqué par des terroristes se revendiquant de l’Islam, alors que lui, blogueur défendant les libertés, est quasiment condamné à mort dans un pays régi par des lois se voulant l’incarnation juridique de l’Islam. Mais in fine, lui aussi est menacé de mort par des fanatiques parce qu’il s’est exprimé.

Comme si déjà cela ne suffisait pas, son avocat, Waleed Abu al-Khair, qui est aussi l’époux de sa sœur, est lui aussi emprisonné, les autorités lui reprochant son militantisme pour l’État de droit et le respect des Droits de l’Homme en Arabie saoudite.

Raïf Badawi, blogueur saoudien emprisonné et condamné à la flagellation

Le 23 janvier dernier, dans une France en plein traumatisme Charlie, et alors que l’Arabie saoudite en deuil de son roi décédé Abdallah couronnait son nouveau souverain en la personne du prince Salmane, un rassemblement avait eu lieu devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris, avenue Hoche, à l’initiative d’Amnesty International et Reporters Sans Frontières, en soutien à Raïf Badawi.

Ce jeudi 7 mai à 18H00, les deux organisations étaient de retour à Paris, cette fois Place Igor Stravinsky face au Centre Beaubourg, pour évoquer à nouveau les cas de Raïf Badawi et Waleed Abu al-Khair – ainsi que bien d’autres encore, car l’Arabie saoudite, monarchie absolue théocratique, est le royaume du silence. Le silence qu’impose le régime saoudien à quiconque entend exprimer une voix dissonante, le jeune blogueur et son avocat étant en cela loin d’être les seuls, ni par conséquent les seuls à être pour cela réprimés.

Pas seuls dans leur combat

Après quelques poses des participants pour les photographes, chacun tenant entre ses mains, devant son visage, le portrait d’un prisonnier de conscience saoudien, Sarah Khazindar, du secrétariat national d’Amnesty International France, a remercié toutes celles et tous ceux venu(e)s à ce rassemblement en soutien aux victimes saoudiennes de violations des Droits de l’Homme.

Elle a fait d’entrée le lien entre cet événement et la condamnation voici un an de Raïf Badawi à la flagellation, simplement pour avoir exprimé son opinion et demandé au Gouvernement saoudien d’entreprendre des réformes dans le pays.

Sarah Khazindar

«Nous devons soutenir ces personnes qui sont souvent harcelées, emprisonnées, et torturées aussi», d’autant que certains détenus en Arabie saoudite n’ont jamais été jugés.

Il est important de leur faire savoir en étant présents ce soir, a conclu Sarah Khazindar, qu’ils ne sont pas seuls dans leur combat.

L’antiterrorisme, prétexte à une loi liberticide

Geneviève Garrigos, Présidente d’Amnesty International France, a souligné que la condamnation de Raïf Badawi à une lourde peine de prison assortie de mille coups de fouet était intervenue dans la foulée de la promulgation, le 24 février 2014, d’une nouvelle loi en Arabie saoudite visant à lutter contre le terrorisme, loi dont les termes sont si vagues qu’elle permet de condamner tout à la fois avocats, Défenseurs des Droits de l’Homme et tous opposants politiques – en ce comprises les femmes qui conduisent des voitures, ce qu’interdit la loi mais que de plus en plus de Saoudiennes font par défi et pour revendiquer leurs droits à l’égalité.

Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, la loi antiterroriste s’en prend à toute personne vue comme déstabilisant la société et nuisant «à sa réputation et son honorabilité», dans les mots des autorités auxquelles ces termes ouvrent un champ très large. La même loi permet aussi la détention pendant six mois renouvelables de toute personne sans aucune justification et sans possibilité d’appel pour le détenu.

Voici quelques mois, le décès du roi Abdallah avait laissé penser qu’une amélioration dans le domaine des Droits de l’Homme était possible avec son successeur Salmane. Or, a poursuivi Geneviève Garrigos, cent jours après l’avènement du nouveau souverain, ce que l’on constate est plus qu’affligeant.

Geneviève Garrigos

«La liberté est toujours réprimée de la même façon, il est impossible de créer une association de défense des Droits humains ou de contester quoi que ce soit de la société saoudienne. Les personnes incarcérées, c’est-à-dire des dizaines de prisonniers d’opinion, sont toujours en détention, et au-delà de cela, on voit bien que l’objectif premier est de museler la société.»

Mais les atteintes aux Droits de l’Homme ne s’arrêtent pas là. Depuis le début du règne du roi Salmane s’est produite une vague d’exécutions capitales, qui montre parfaitement que le régime n’a aucune intention de revenir en arrière. En dehors même des frontières saoudiennes, dans la coalition que mène le royaume au Yémen pour combattre des groupes dits «terroristes», des massacres de civils ont été commis qui évoquent des crimes de guerre.

Si l’on ne peut que saluer la libération récente d’une militante féministe et de deux autres femmes emprisonnées pour avoir pris le volant, il y a toutefois fort à craindre que celle-ci ne soit le fruit d’engagements lourds de la part des intéressées, ce qui constituerait alors une atteinte à leurs droits fondamentaux.

Pour toutes ces raisons, bien entendu pour Raïf Badawi, qui ne doit pas voir sa peine seulement suspendue mais bel et bien être libéré, ainsi que pour tous les prisonniers d’opinion en Arabie saoudite, nous sommes là et nous continuerons à nous mobiliser, a conclu Geneviève Garrigos. «La liberté d’expression, la liberté de manifester et d’opposer, sont des droits fondamentaux et doivent être respectés en Arabie saoudite.»

La prison de l’oubli, pire châtiment pour les prisonniers d’opinion

Lucie Morillon, Directeur des Programmes de Reporters Sans Frontières, a remercié Amnesty International France d’avoir pris l’initiative du rassemblement, soulignant le caractère barbare et arriéré de la peine infligée à Raïf Badawi, une peine que l’on n’imaginait plus possible à notre époque.

Il est essentiel de poursuivre la mobilisation, car celle-ci fonctionne, peut-être pas aussi rapidement qu’on le souhaiterait, mais elle fonctionne. La preuve en est, la première flagellation n’a pas été suivie d’autres à ce jour. Il faut continuer à parler de lui et faire monter la pression internationale, car le pire qui puisse arriver aux journalistes et blogueurs emprisonnés, c’est que l’on cesse de parler d’eux, les enfermant ainsi dans une «prison d’oubli».

«Aujourd’hui, il faut vraiment se souvenir que la liberté d’expression est essentielle dans un pays comme l’Arabie saoudite. Le seul crime de Raïf Badawi a été de créer une plateforme en ligne où pouvait se dérouler un débat sur l’avenir du pays, sur des idées religieuses, politiques, sociales qui n’ont pas leur place au sein des médias traditionnels saoudiens.»

Lucie Morillon

Lucie Morillon a rappelé que l’Arabie saoudite était 164ème sur 180 au classement de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse dans les différents pays du monde.

«Continuons notre mobilisation, continuez à signer notre pétition pour la libération de Raïf (1), pensons à tous les autres prisonniers d’opinion qui sont à ses côtés, et surtout, il faut faire monter la pression sur les autorités françaises.»

Précisément, en amont de la visite officielle du Président de la République française en Arabie saoudite, Reporters Sans Frontières lui a envoyé un courrier l’appelant à mentionner explicitement le cas de Raïf Badawi auprès des autorités saoudiennes et à demander sa libération et l’annulation de la peine à laquelle il a été condamné.

Il faut absolument éviter, a conclu Lucie Morillon, que les intérêts économiques et géopolitiques entre Paris et Riyad soient l’occasion de laisser piétiner les Droits de l’Homme et la liberté d’expression et d’information.

La lettre de Riyad

Mohammed Sultan, Directeur du Centre bahreïni pour les Droits de l’Homme (Bahrain Center for Human Rights), réfugié en France, a ensuite pris la parole en anglais.

Remerciant les participants de leur soutien à cette campagne, il a lu une lettre de Samar Badawi, sœur de Raïf Badawi et épouse de l’avocat de ce dernier, Waleed Abu al-Khair, Défenseur des Droits de l’Homme, lui-même emprisonné comme l’est son beau-frère et client. Bien que n’étant pas elle-même détenue, Samar Badawi, qui a trouvé refuge avec les enfants du couple au Canada, est retenue de force depuis décembre 2014 à l’intérieur des frontières de l’Arabie saoudite.

Mohammed Sultan

«J’applique ce que j’ai appris dans le livre de notre vie, car je demeurerai pour toujours déterminée tant qu’ils te garderont derrière les barreaux.

A mes compatriotes d’Arabie saoudite, je dis que mon époux a été emprisonné pour que vous puissiez vivre libres. Il s’est levé contre le tyran pour revendiquer vos droits. Il a fait face à ses geôliers pour leur dire qu’il ne cèdera pas à la répression.

Mes derniers mots seront pour ma petite fille, Jood.

Ne crois pas que tu es en sécurité parce que tu es née libre alors que ton père se trouvait derrière les barreaux. Sois fière, lève ta tête bien haut, car le monde entier t’envie le père qui est le tien, même si son propre pays s’est retourné contre lui. L’avenir t’attend pour poursuivre le combat de ton père, afin que tu puisses le rendre encore plus fier de toi qu’il ne l’est aujourd’hui.

Quand tu auras grandi, tu deviendras toi-même un exemple pour nous, et bientôt, on te connaîtra comme Jood la libre, la différente, la résiliente, toi, Jood Waleed Abu al-Kheir.»

Libérer les prisonniers du silence

Tour à tour, des membres et bénévoles d’Amnesty International sont montés sur l’estrade, l’un tenant devant son visage le portrait d’un prisonnier saoudien et l’autre, micro en main, s’adressant à l’assistance comme s’il était ce même prisonnier, lisant un texte écrit à cet effet.

Raïf Badawi

Je m’appelle Raïf Badawi.

Je suis un blogueur saoudien qui défend la liberté d’expression.

Mon histoire s’est fait connaître partout dans le monde.

En mai 2014, j’ai été condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet pour avoir créé un forum de discussion en ligne intitulé «Saudi Liberal Network», qu’on traduit en français par «Libéraux saoudiens», destiné au débat public.

J’ai tenu des propos critiques contre le régime saoudien sur cette plateforme de discussion en ligne.

J’ai demandé la fin de l’influence religieuse en Arabie saoudite.

Pour cela, j’ai été condamné pour «insulte à l’Islam».

Le 9 janvier 2015, j’ai reçu cinquante coups de fouet en public, après la grande prière du vendredi sur l’esplanade de la mosquée à Djeddah.

Selon la sentence, je devrais subir cinquante coups de fouet tous les vendredis sur vingt semaines consécutives, mais la mobilisation internationale a fait plier le régime.

La flagellation a été suspendue. Elle peut cependant reprendre à tout moment.

Mes trois enfants et ma femme, Ensaf Haidar, sont extrêmement mobilisés depuis le Canada. Grâce à eux, le monde s’intéresse aux prisonniers du Royaume.

Alors que les abus et les violations des Droits humains en Arabie saoudite sont de plus en plus médiatisés, il faut que le monde sache que d’autres activistes sont en prison comme moi.

Nous devons tous être libérés.

Waleed Abu al-Khair

Je m’appelle Waleed Abu al-Khair.

Je suis avocat et militant des Droits de l’Homme.

Je suis le fondateur de l’Observatoire saoudien des Droits de l’Homme.

D’après l’édition moyen-orientale du magazine Forbes, je fais partie des cent Arabes les plus influents sur Twitter et suis l’un des dix Saoudiens les plus suivis.

Depuis que je suis emprisonné, mes amis et camarades continuent de faire vivre mon compte en ligne, pour que jamais ne meurent nos idées.

J’ai organisé un salon de discussion hebdomadaire dans mon salon, afin que nous restions soudés et mobilisés.

A partir de l’année 2012, je suis devenu l’avocat de Raïf Badawi, le frère de ma femme Samar Badawi.

En avril 2014, Raïf était accusé d’apostasie et risquait la peine de mort par décapitation.

Après avoir pris sa défense lors de son cinquième procès, j’ai été appréhendé sans explication et mis en prison.

J’ai été condamné à quinze ans de prison, assortis de quinze années d’interdiction de sortie du territoire.

J’ai été inculpé par le Tribunal spécial de Djeddah, celui qui s’occupe des délits terroristes.

On m’a dit que j’avais désobéi au souverain, que j’avais cherché à lui ôter sa légitimité, que j’avais insulté le pouvoir judiciaire et les juges, que j’avais nui à la réputation de l’État en communiquant avec des organisations internationales, telles qu’Amnesty International.

En détention, j’ai subi tortures et mauvais traitements, on m’a placé à l’isolement et privé de sommeil.

Je n’ai pas pu assister à la naissance de ma fille Jood. La première fois que je l’ai vue, c’était au tribunal.

Malgré les pressions constantes, je n’ai jamais abandonné la lutte pour obtenir plus de Droits humains en Arabie saoudite.

Sachez que je n’ai pas été enfermé pour avoir pris ma propre défense ; je l’ai été parce que défendais des personnes opprimées dans mon pays.

Ne m’oubliez pas, mais par-dessus tout, n’oubliez pas celles et ceux que je défendais.

Fadel al-Manasif

Je m’appelle Fadel al-Manasif.

Âgé de vingt-six ans, je suis photographe et membre actif d’un centre pour les Droits humains, pour lequel je documente les abus dont sont victimes les Musulmans chiites dans l’est du pays.

Dans ce cadre, je suis devenu un interlocuteur privilégié entre les familles de disparus et les autorités.

J’ai envoyé aux médias des informations sur la répression contre les Musulmans chiites lors de manifestations. J’ai été arrêté deux jours après, déclaré coupable, avec vingt autres activistes, d’avoir invité les médias internationaux à venir à des manifestations.

Travailler avec Amnesty International, les Nations Unies, ainsi que Human Rights Watch n’a malheureusement pas joué en ma faveur lors de mon procès.

J’ai été torturé en détention et je purge actuellement une peine de quinze ans de prison, qui sera suivie de quinze ans d’interdiction de voyager.

Saudi Civil and Political Rights Association (ACPRA)

«L’ACPRA, l’Association saoudienne des Droits civils et politiques, est l’une des rares associations de défense des Droits humains en Arabie saoudite.

Elle a été fondée en octobre 2009 et s’est rapidement imposée comme principale critique du Gouvernement, en faisant pacifiquement campagne pour les Droits humains, et plus particulièrement pour les prisonniers et détenus politiques.

Cependant, depuis 2011, les autorités saoudiennes ont réprimé sans relâche toute forme de liberté d’expression et d’association.

Les membres de l’ACPRA ont été les uns après les autres suivis et harcelés, arrêtés, interrogés et jugés pour des accusations absurdes qui ne sont pas clairement définies par la loi.

Jusqu’à ce jour, à la suite de procès inéquitables, six des onze membres de l’ACPRA ont été condamnés à des peines sévères, allant jusqu’à quinze ans de prison accompagnés d’interdictions de voyager pour la même durée.

Les accusations vagues comprennent la rupture d’allégeance au souverain, la création d’une organisation non agréée, et la diffusion de fausses informations à des groupes étrangers tels qu’Amnesty International.

L’ACPRA a été fermée de force en mars 2013.

Elle nous rappelle brutalement la lutte contre la répression étatique et représente une source d’inspiration essentielle pour tous les militants qui souhaiteraient élever la voix pour la justice et les libertés en Arabie saoudite.

Les membres de l’ACPRA sont parmi les rares personnes du royaume qui sont passées de la parole aux actes en matière de Droits humains.

Leur courage est stupéfiant dans une telle société et ils ont payé le prix fort de leur lutte pacifique.»

–Abdulhaziz al-Hasan, avocat de certains membres de l’ACPRA.

Les prisonniers que vous allez voir maintenant sont tous membres de l’ACPRA, et ils sont encore actuellement détenus dans les prisons d’Arabie saoudite.

Mohammed al-Bajadi

Je m’appelle Mohammed al-Bajadi.

Je suis un homme d’affaires, père de deux enfants, et l’un des fondateurs de l’ACPRA.

J’ai été arrêté à mon domicile le 21 mars 2011 par des agents en uniforme et par des hommes masqués.

Chez moi et à mon bureau, tout a été vidé. On m’a confisqué mes livres, mes documents, et mon ordinateur portable.

Lors de mon procès, je n’ai pas été autorisé à voir mes avocats. L’autorisation légale de me représenter ne leur a pas été accordée. Ils n’ont pas non plus été autorisés à assister aux audiences, alors qu’ils faisaient systématiquement le pied de grue devant le tribunal pendant des heures.

Aucun des membres de ma famille n’a été tenu au courant de la date de mon procès.

J’ai été déclaré coupable de posséder des livres interdits, d’avoir participé à la création d’une association de défense des Droits humains, d’avoir organisé une manifestation avec les familles des prisonniers d’opinion et d’avoir remis en cause l’indépendance judiciaire.

Pour cela, j’ai été condamné à dix ans de prison.

En détention, j’ai fait sept mois de grève de la faim pour dénoncer les injustices lors de ce procès, mais ils m’ont nourri de force.

Fowzan al-Harbi

Je m’appelle Fowzan al-Harbi.

Je suis l’un des cofondateurs de l’ACPRA et son Vice-président.

J’ai été l’un des avocats de Mohammed al-Bajadi. Tout au long de son procès, j’ai tenté, en vain, de déposer des recours pour exercer mon rôle d’avocat, de défendre, mais cela m’a été interdit.

J’ai été arrêté à l’aéroport le 22 mai 2012 alors que je me rendais à Genève pour participer à une conférence sur les Droits humains.

Ma peine est passée de sept à dix ans de prison lorsque j’ai fait appel en 2014. J’aurais en effet «rompu [mon] allégeance au roi» en lançant des appels à manifester.

Avant de connaître le verdict de ma peine, on m’a interdit d’utiliser les réseaux sociaux et de fréquenter des gens.

Sheikh Sulaiman al-Rashudi

Je m’appelle Sheikh Sulaiman al-Rashudi.

Juge et avocat, je suis l’ancien Président de l’ACPRA.

J’ai été arrêté de nombreuses fois au cours de ma vie.

Je fais partie de ceux que l’on a appelé les «réformistes de Djeddah», un groupe de neuf avocats.

Nous avons été déclarés coupables d’avoir créé une organisation secrète, qui financerait le terrorisme et blanchirait de l’argent.

Mes collègues avocats et moi-même avons été condamnés de cinq à trente ans de prison.

J’ai été arrêté quelques heures seulement après avoir donné un cours magistral sur la possibilité légale de manifester pacifiquement.

J’ai été condamné à quinze ans de prison assortis de quinze ans d’interdiction de voyager.

Les peines de mes collègues, les huit autres avocats, vont de cinq à trente ans de prison.

J’ai déjà passé dix ans en prison en raison de mon engagement pacifique.

J’ai soixante-dix-huit ans, et malgré mon vieil âge, je dois partager une cellule de cinq mètres sur six avec quatre autres détenus.

Abdulkareem al-Khoder

Je m’appelle Abdulkareem al-Khoder.

Je suis l’un des membres fondateurs de l’ACPRA.

J’ai été professeur de droit comparé à la Faculté de Jurisprudence islamique jusqu’à ce qu’on me force à démissionner à cause de mon activisme.

Il m’est interdit de voyager depuis 2010.

Lors de la quatrième audience devant le tribunal, le 24 avril 2014, j’ai été arrêté, car j’ai refusé d’entrer dans la salle du tribunal.

Rendez-vous compte : le juge avait arbitrairement refusé l’accès des lieux aux femmes …

J’ai été condamné à huit ans de prison, peine assortie de dix ans d’interdiction de voyager, car j’aurais «offensé la justice».

Finalement, ma peine a été annulée en appel, car il a été estimé qu’un différend d’ordre personnel m’opposait au juge.

Malgré cela, je suis toujours derrière les barreaux.

Abdullah al-Hamid

Je m’appelle Abdullah al-Hamid.

J’ai soixante-six ans et huit enfants.

Je suis également l’un des membres fondateurs de l’ACPRA.

Je suis avocat.

Depuis vingt ans, je rêve à plus de dignité humaine, mais les autorités m’en font voir de toutes les couleurs.

J’ai été emprisonné six fois, j’ai perdu mon emploi de professeur à l’université et je suis devenu sourd d’une oreille.

Avant d’être mis en prison pour la septième fois en vingt ans, j’ai twitté :

«Prison is a victory for our project. From our cells, we will light candles.»

«La prison est une victoire dans notre lutte. Depuis nos cellules, nous allumerons des bougies.»

Je suis l’auteur de quinze livres, ainsi que de nombreux articles et d’essais proposant des réformes dans la loi islamique. J’écris également des poèmes et ai publié sept recueils de poésies qui parlent de justice et de révolution.

En 2013, j’ai été condamné à onze ans de prison, assortis de onze ans d’interdiction de voyager, pour «désobéissance à l’encontre du souverain».

Abdulrahman al-Hamid

Je m’appelle Abdulrahman al-Hamid.

J’ai été le premier Président de l’ACPRA.

En avril 2014, j’ai été emprisonné après avoir cosigné une déclaration demandant que le Ministre de l’Intérieur soit jugé pour sa politique destinée à supprimer les libertés publiques.

Je n’ai pas été inculpé, je n’ai pas eu le droit à un procès.

Je suis victime de mauvais traitements depuis que je suis en détention.

Omar al-Saïd

Je m’appelle Omar al-Saïd. J’ai vingt-deux ans.

J’ai lancé un appel de mobilisation sur Twitter. Pour cela, j’ai été condamné à trois cents coups de bâton.

Contraire au droit international, cette peine est courante en Arabie saoudite.

Je vais être jugé encore une fois, mais cette fois-ci, ce sera devant le Tribunal spécial en charge des délits terroristes.

Mohammed Fahad al-Qahtani

Je m’appelle Mohammed Fahad al-Qahtani.

J’ai quarante-six ans, je suis père de quatre enfants, et je suis aussi l’un des neuf fondateurs de l’ACPRA.

Je suis professeur d’économie et je milite activement pour l’indépendance des femmes, notamment pour qu’elles puissent conduire seules, car cela leur est aujourd’hui toujours interdit.

En juin 2011, j’ai publié ce site sur mon compte Twitter :

«Ma femme Maha et moi revenons tout juste d’une belle promenade en voiture de quarante-cinq minutes. C’est elle qui en a été la conductrice dans les rues de Riyad.»

A l’ACPRA, je me suis occupé de dossiers de détenus et j’ai aidé leurs proches à mieux comprendre et défendre leurs droits.

En 2008, nous avons lancé une grève de la faim, avec vingt activistes, pour réclamer des conditions de détention acceptables et des procès équitables.

Le 9 mars 2013, j’ai été condamné à dix ans de prison assortis de dix ans d’interdiction de voyager.

A ma charge, pas moins de onze accusations, toutes liées à mes activités de Défenseur des Droits humains. J’ai notamment été déclaré coupable d’avoir fourni ce qu’ils appellent de «fausses informations» à des groupes étrangers – comme Amnesty International.

Je suppose qu’il est de notre devoir de subir l’emprisonnement.

Ce prix, cependant, n’est rien comparé à la liberté que nous allons arracher au régime.

Contre le terrorisme, le droit à la dignité et la liberté d’expression

Après la fin des lectures, Geneviève Garrigos a repris la parole pour une ultime intervention.

Les hommes que nous venons d’entendre parler, a-t-elle souligné, et qui sont emprisonnés en Arabie saoudite, sont tous, comme nous avons pu le constater, de très dangereux terroristes ! En effet, ils défendent les Droits humains, ils sont des avocats qui se battent pour la liberté, pour la dignité, des avocats qui font leur travail, des blogueurs qui font le leur, et tous ensemble, ils ne veulent qu’une chose : c’est que les Droits humains soient respectés en Arabie saoudite. Rien qui relève d’une législation antiterroriste comme celle que le pays vient d’adopter !

Pour Raïf Badawi, la mobilisation dure depuis maintenant un an, et au niveau mondial, Amnesty International a recueilli plus d’un million de signatures (2). Si sa sentence est pour le moment suspendue, ce que demande Amnesty, c’est sa libération et rien de moins. Peu de gouvernements se sont mobilisés pour qu’il en soit ainsi, et nous devons continuer à faire pression sur le gouvernement saoudien, mais aussi sur nos propres autorités, pour que cette liberté d’expression que tout le monde encense et affirme défendre soit une réalité non seulement dans un pays comme la France, mais qu’elle le soit aussi partout dans le monde.

«Si nous voulons lutter contre ces mêmes terroristes que l’Arabie saoudite prétend combattre, le meilleur moyen de le faire, c’est l’égalité en droit, la liberté d’expression et que chacun puisse vivre dans la dignité. Nous avons besoin de vous, continuez à signer, continuer à vous mobiliser, c’est comme cela que nous ferons avancer les choses.»

«Aucun de vous n’est véritable croyant …»

Ce que tout le monde ne sait pas de l’Arabie saoudite, c’est qu’elle n’est pas un pays, du moins pas seulement. En effet, les autorités saoudiennes considèrent le territoire national tout entier comme une mosquée, ce dont il résulte entre autres que la pratique d’aucun culte n’y est admise en public, a fortiori la construction de lieux de culte pour ce faire, si ce n’est l’Islam – et encore, l’Islam sunnite wahhabite des Al-Saoud, la minorité chiite de l’est du pays payant cher sur ce point sa différence.

Or, si l’Arabie saoudite tout entière est une mosquée, n’est-on pas en droit d’y attendre un respect sans faille de l’ensemble des principes islamiques, tels que le Treizième Hadith (sur quarante) de Nawawi, rapporté par al-Bukhari et Muslim, qui reprend ainsi les paroles du Prophète Mahomet : «Aucun d’entre vous n’est véritable croyant tant qu’il n’aimera pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même» ?

Théoriquement si. Cela dit, il est difficile de s’imaginer que la famille royale saoudienne, à commencer par le roi Salmane, aime être réduite au silence, accusée à tort, jetée en prison sans procès équitable, torturée et soumise au quotidien à de mauvais traitements. Son mode de vie luxueux et hautement protocolaire laisse en tout cas penser tout le contraire. Pourtant, c’est bien là ce que nombre de ses «frères» saoudiens, tels que ceux «sortis du silence» aujourd’hui, doivent endurer chaque jour …

Que les dirigeants de l’Arabie saoudite croient détenir la vérité absolue en termes de religion musulmane, par opposition notamment à l’Iran, la grande république chiite rivale du royaume en termes de leadership au Moyen-Orient, c’est bien son affaire. Mais qu’elle se croie pour autant autorisée à mépriser et méconnaître les droits de son peuple, ce n’est pas et ne sera jamais une chose acceptable. Même pas, si ce n’est surtout pas, au nom de cet Islam qui lui est si cher.

(1) fr.rsf.org/petitions/badawi/petition.php?lang=fr

(2) www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Liberte-expression/Actions/Flagelle-en-Arabie-Saoudite-pour-s-etre-exprime-cessons-le-chatiment-de-Raif-Badawi-13862?gclid=CJfB4OO8tcUCFQsUwwodTD0A6A

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This entry was posted on 09/05/2015 by in Amnesty International.

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